Billet éditorial du dimanche, 11.06.2023
Monique Lortie, M.A. phi.
C’est le parti que semble prendre le conférencier bien connu, Anthony de Mello1. Psychothérapeute et jésuite, le conférencier à succès s’est mérité autant de « followers » que de critiques. Nous n’entrerons pas dans ces controverses.
Ce qui nous intéresse aujourd’hui, chez lui, c’est justement cette phrase impactante : « Réveillez-vous ». Cette injonction pourrait bien être une astuce rhétorique si ce n’était une sorte de reprise de l’enseignement d’un des tout premiers philosophes de l’Histoire, le grand Héraclite d’Éphèse (500 av. J.C.) : « Beaucoup ne se rendent pas compte de ce qu’ils font, même éveillés, ils sont somnambules » (fragment 1).
Einstein des siècles plus tard dira : « Plusieurs sont comme des zombies ».
Il faut croire que ces paroles ont frappé l’imagination de certains puisque, toujours selon certains, aujourd’hui, il faut être « woke », c’est-à-dire éveillé.
Ce serait une bonne nouvelle en soi. Mais voilà que la dérive a montré son nez : le terme « woke », originaire de l’anglo-américain (et non de la langue anglaise comme telle), a pris chez ses initiateurs un sens proprement social et américain, a pris une tournure militante ; il désigne maintenant – et plus que jamais – « le fait d’être conscient des problèmes liés à la justice sociale et à l’égalité raciale »2.
Bon. En soi, qui peut-être contre la vertu ? Il aurait bien raison le petit prêtre catholique qui se réjouissait, dans une vidéo l’autre jour, de ce qu’enfin les valeurs chrétiennes d’amour et de partage soient en train de se répandre un peu partout sur la planète avec un sorte de vitesse grand V.
Sauf que dans la réalité, ce mot « woke » entraîne avec lui maintenant quelque chose d’effrayant : ce qui s’appelle la « cancel culture ».
Ce que cette formule signifie origine d’un philosophe français, Jacques Derrida. Avec quelques amis, Gilles Deleuze et Michel Foucault, entre autres. Un Jacques Dérida qui n’a cessé de clamer durant sa vie : « Je veux me tuer ». Il faut se demander comment a été possible l’influence gigantesque qu’il a – qu’ils ont – pu avoir en Amérique. À moins de prendre en compte le terreau de ressentiment qui se rencontre aux USA. Chez les personnes non-blanches en particulier. Et parmi elles, les descendants des esclaves de l’Histoire américaine.
C’est ainsi que se développe, chez nous, aux USA et même en France, en Angleterre et ailleurs, un désir très fort d’effacer de la carte, si je puis dire, toute référence, jusqu’aux représentations artistiques, jusqu’au vocabulaire, jusqu’à la grammaire de notre culture occidentale.
Et bien sûr, et surtout, notre Histoire. Celle qui a débuté en Grèce il y a plusieurs siècles.
Un autre philosophe écrira : « La déconstruction désigne l’ensemble des techniques et stratégies pour déstabiliser, fissurer »3 la culture chez les honnêtes gens.
Ma question : que restera-t-il de nous, pauvres humains occidentaux, si l’opération wokiste prend de l’ampleur en investissant l’espace de notre identité ? Et surtout, si même nous, les Occidentaux, nous nous laissons happer par un romantisme sans discernement ? par un ensommeillement coupable ?
D’où il semblerait bien encore que ce qu’il faut pour lutter contre cette dérive intellectuelle qu’est le wokisme, ce serait déjà une solide et honnête éducation à l’Histoire.
Pour tous.
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1 Quand la conscience s’éveille, éd. Bellarmin-Desclée de Brouwer, 1994.
2 Wikipedia.
3 Gilbert Hottois, 1998.
Le pain du ciel