10 mai 2020 5e dimanche de Pâques A – Jean 14, 1-12
Ce passage d’Évangile parle de voyage. On y trouve les mots partir, revenir, emmener, aller, chemin. Il y est aussi question de « voir » et de « croire ». Tout cela dans un moment solennel, la veille de la passion.
Partir
Il y a bien longtemps, mon grand-père a demandé à me rencontrer. En me voyant il a dit : « Je vais partir ». « Où allez-vous comme ça? » Il a répondu : « Tu le sais. » II parlait, je l’avais compris, de sa mort prochaine. Il ne cherchait pas à fuir une situation difficile, car il était bien entouré de sa grande famille. Il savait qu’il allait quelque part et il en parlait sereinement et même avec une certaine hâte de connaître cet ailleurs qui l’avait toujours intrigué et auquel il croyait.
Jésus annonce aux disciples qu’il va partir. La perspective de son départ les inquiète et les bouleverse. Ils ne comprennent pas, malgré leur volonté de le suivre. De là, la réaction de Thomas : « Seigneur, nous ne savons pas où tu vas. Comment pourrions-nous savoir le chemin ? »
L’objection de Thomas ne serait-elle pas la nôtre ? Savons-nous vraiment où nous allons ? Quelle route devons-nous prendre ? Le monde qui nous entoure propose tant de voies pour trouver le bonheur. Tant de conseils pour atteindre l’épanouissement de tout notre être. Tant de recettes pour réussir notre vie. Comment choisir ?
Ce genre de questionnements nous heurte de front en période de pandémie. L’inquiétude face à l’avenir, celui de nos proches ou le nôtre, rampe à notre porte. La désespérance peut nous envahir devant l’impuissance des autorités à dompter le virus destructeur.
Jésus ressent l’inquiétude des siens, tout comme il connaît la nôtre : « Que votre cœur ne soit pas bouleversé. » Il s’efforce alors de les rassurer. « Je pars vous préparer une place» dans la maison du Père. Il part mais ne les abandonne pas. Cette image de « la maison du Père » réfère à l’intime du Père, à son cœur. Jésus part mais demeure toujours en relation avec ses disciples, avec nous. Il ajoute : « Quand je serai parti vous préparer une place, je reviendrai et je vous emmènerai auprès de moi, afin que là où je suis, vous soyez, vous aussi. »
Jésus demeure inséparable de ses disciples, et en Lui, nous sommes tous unis au Père. Quelle que soit notre faiblesse, Lui-même nous emmènera près du Père. En nous préparant une place dans la maison du Père, il signifie que chacun et chacune de nous est digne du Père. Toutefois, pour aller vers le Père, il faut passer par Jésus.« Personne ne va pers le Père sans passer par moi. »
Bien des gens vivent, et cela nous arrive à certains moments, rivés à l’immédiat. Ignorant qu’ils devront un jour partir vers un ailleurs. Préférant probablement ne pas penser à la mort inéluctable. Par contre, aller vers le Père, c’est chercher à rejoindre déjà maintenant la source inépuisable de toute vie. Jésus nous prépare une place, une «demeure» là où se trouve l’origine de toute vie.
Thomas, l’homme terre-à-terre, attendait sans doute des indications précises, une sorte de feuille de route. Nous pouvons nous aussi accueillir le message évangélique comme une carte routière. De fait, l’enseignement de Jésus se situe avantageusement aux côtés des réflexions de Socrate ou de grands sages de l’Antiquité. Mais limiter Jésus au contenu de ses discours serait le trahir. De là sa réponse extraordinaire à Thomas : « Moi, je suis le Chemin, la Vérité et la Vie; personne ne va vers le Père sans passer par moi. »
Il ne s’agit pas d’emprunter quelque sentier privilégié pour aller vers le Père. Pas une liste de conseils pour bien gérer sa vie. Il s’agit de s’attacher à Quelqu’un, de faire totalement confiance à ce Quelqu’un et de cheminer avec lui. Le message de Jésus, c’est d’abord sa personne : Il est en sa personne le message du Père.
Il n’est pas d’autre voie pour rejoindre Dieu que la personne de Jésus. Aucun accès direct au Dieu invisible : il faut passer par son Fils. Il est l’unique médiateur entre nous et l’invisible. Médiateur, non comme un intermédiaire neutre entre deux parties opposées mais comme le sceau d’une alliance entre nous et le Père.
V o i r
Il nous est difficile de connaître sans voir. L’invisible nous échappe. Or nous avons besoin de voir. Le Père s’est manifesté à nous par l’incarnation de son Fils. Les disciples ont suivi Jésus qui leur parlait du Père. Il a attisé en eux le désir de connaître le Père. De là la demande de Philippe : « Seigneur, montre-nous le Père : cela nous suffit. » La réponse de Jésus a dû frapper ses disciples.
« Il y a si longtemps que je suis avec vous, et tu ne me connais pas Philippe ! Celui qui m’a vu a vu le Père. Comment peux-tu dire : « Montre-nous le Père ? » Tu ne crois donc pas que je suis dans le Père et que le Père est en moi ! »
Quelle audace d’affirmer « qui m’a vu a vu le Père »! Jésus affirme ainsi son unité avec et dans le Père. Pour voir Dieu, i.e. le Père, nous devons regarder Jésus, l’homme Jésus, tel qu’il s’est manifesté à ses disciples. Pour bien connaître une personne, il nous faut la fréquenter. Et l’expérience nous apprend qu’il reste toujours quelque chose à découvrir dans l’autre. À fréquenter Jésus, nous découvrirons la richesse de son message et plus encore l’infini de sa présence.
Le regard que nous portons sur les autres se fige trop souvent sur les apparences. Même certains de nos proches se voient enfermés dans la surface de leur être. Nous regardons les autres de l’extérieur et nous pensons les connaître. Nous les enfermons dans ce que nous savons d’eux, comme si cela épuisait le mystère de leur personne. Mais le mystère d’une personne ne s’enferme pas dans une définition de dictionnaire. Uniquement pour se connaître soi-même, Il faut beaucoup de temps. Encore davantage pour effleurer le mystère du Christ.
Il s’agit d’un “autre savoir” qui se développe uniquement par l’accueil et l’écoute, voire par la contemplation. Les amoureux se comprennent, sans pouvoir définir l’autre. Les parents connaissent ainsi leur progéniture. Pour aller vers le Père, il faut adopter cet « autre savoir » que Jésus peut nous transmettre.
Un jour, une femme m’a parlé de son fils. Il avait plutôt mal tourné et s’est retrouvé en prison. Personne, ni son père ni ses sœurs ne le visitait, sauf elle. Elle ne minimisait pas les méfaits de son fils. Au-delà des apparences, elle savait que ce dernier était plus que la somme de ses bêtises. Un regard d’amour. Un regard de mère. – En ce dimanche de la fête des mères, rendons grâce pour leur regard qui ne s’arrête pas aux apparences, du moins en ce qui concerne leurs enfants.
Nous devons apprendre à bien voir, c’est-à-dire avec le cœur. Alors la parole de Jésus se réalisera pour nous.
« Puisque vous me connaissez, vous connaîtrez aussi mon Père. Dès maintenant vous le connaissez, et vous l’avez vu. »
C r o i r e
La confiance permet de percer le mur des apparences. Les disciples avaient suivi Jésus avec enthousiasme. Ils ont pu observer ses dons de guérison et l’entendre expliquer la Parole de Dieu. Ils reconnaissent en Lui l’envoyé de Dieu, mais ne saisissent pas son identité profonde, son identité de Fils du Père. En témoigne la demande de Philippe.
« Seigneur, montre-nous le Père; cela nous suffit. »
Dans la réaction de Jésus transparaît une certaine peine. « Il y a si longtemps que je suis avec vous, et tu ne me connais pas, Philippe ! Celui qui m’a vu a vu le Père. … Tu ne crois donc pas que je suis dans le Père et que le Père est en moi ! »
Croire permet de voir plus. La confiance que l’on accorde à un ami nous fait découvrir en lui ce que d’autres ne perçoivent pas. Jésus invite les siens à croire en Lui. Il sait que croire ne va pas toujours de soi. Il est conscient que ce qu’il demande est exigeant. Il les invite donc à méditer sur son action, sur ses « œuvres », qui témoignent la puissance du Père agit par Lui. « Si vous ne me croyez pas, croyez du moins à cause des œuvres elles-mêmes. »
Les « œuvres » nous font immédiatement penser aux miracles. Or Jésus n’a pas cherché à attirer l’attention par les miracles. D’ailleurs, saint Jean parle non de miracles, mais de signes. Il s’agit d’imiter l’amour inconditionnel du Père, « Qui fait lever son soleil sur le méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et les injustes. » Mt 5, 45
Par toute sa vie, Jésus a incarné cet amour universel du Père. À nous de l’imiter. En ce dimanche de la « Fête des mères », c’est pour leur amour inconditionnel que nous voulons rendre grâce. En fait, chacune et chacun de nous peut faire lever le soleil de son amour sur toute personne de son entourage. Bonne fête à toutes les mères !
Marcel Poirier, a. a.
Le ressuscité et la communauté de ses disciples