Confinement aidant, nous attendons que le temps passe et que le covid-19 s’effondre sur lui-même, s’anéantisse par lui-même. Ou qu’un miracle se produise. Et nous attendons, et nous attendons, nous attendons… Comprenons-nous alors que pendant que nous attendons ainsi, c’est la vie, notre vie, qui passe ? Si on méditait Bergson, le philosophe de la « durée », on comprendrait peut-être que le « temps », justement, n’est pas pour nous le temps de la mécanique, de la physique, du calendrier, de l’horloge ; mais que le « temps » désigne, pour nous, notre conscience d’être là, de vivre, de faire, de penser, de voir, etc. – Je ne parle pas ici de la conscience morale, on l’aura compris, n’est-ce pas ? – Le temps vécu est celui d’une « durée », une durée ressentie dans notre fine intimité d’humain, suggère le philosophe.
Si donc ce philosophe a raison, ne nous serait-il pas permis, dès lors, de penser que lorsqu’on se laisse être « distrait et distraite » pendant une activité, pendant une conversation, un film, une lecture, voire même pendant une tâche domestique, alors on accepte de congédier ce ressenti, cette conscience, cette intimité nôtre, nous laissant devenir, comme le dit, brutalement peut-être, Einstein, des zombies ? Aïe !
Ainsi, pendant que nous sommes forcé.e.s à un confinement sanitaire, « attendre », attendre que les semaines, les mois, les années peut-être*, passent, c’est proprement mettre en pause sa conscience de vivre ; c’est tout à fait ce qui s’appelle oublier de vivre.
Il est exact de dire que « le temps passe » mais pendant que les heures passent, moi, « je demeure », dit la chanson. Moi, ma vie, mon intimité, c’est une durée d’un seul tenant.
Ne pas tenir compte de cette vérité qui paraîtra banale pour celle ou celui qui lit distraitement, c’est, au fond, oublier de vivre. C’est se retrouver dans le vide d’une solitude « cosmique ». Or, n’est-ce pas de cette solitude dont on se plaint ces jours-ci ? Certains en meurent qui ont ajouté à ce vide, la crainte d’un futur que l’on imagine, et les regrets d’un passé que l’on a laissé filer, par la paresse, les hésitations, l’impatience. Une solitude dans laquelle le sentiment que « la vie n’a pas de sens » décolore tout. Tout !
Le remède se trouve du côté du réveil, clament les philosophes de tous les temps. Réveillons-nous, car, « à quoi bon, écrivait le grand Gœthe, tout ce luxe de soleils, de planètes, de lunes, d’étoiles, de voies lactées, de comètes, de nébuleuses, de mondes devenus et en devenir si l’humain ne se réjouit pas de l’existence, de sa propre existence ? » J’aime cette phrase ! Cette question de Gœthe, en même temps, ne nous fait-elle pas un peu honte ?
Réveillons-nous, considérons l’univers, considérons le ciel étoilé au-dessus de nos têtes, le luxe de légumes pour faire la soupe quotidienne, la valeur d’avoir des mains pour la faire, cette soupe ! Banal ? Cela pourrait s’appeler, au contraire, « la grande joie d’exister* » !
Ainsi se vainc le confinement, et son cortège de solitudes : puisque nous sommes vivants, alors n’oublions pas de vivre !
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* L’Histoire en témoigne à profusion.
* « Grande est la joie d’exister », c’est le thème de mon visiocours philo ce printemps.
MONIQUE LORTIE, M. phi.
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