Nous avons tous en mémoire l’excellent développement qui fut fait, tout récemment, lors d’une homélie du dimanche, sur la parabole de la paille et de la poutre. J’amène ici, aujourd’hui, une version plus moderne, pour autant que l’on puisse considérer son auteur, Schopenhauer1, comme un philosophe «modern». Comme quoi, rien ne se perd dans le monde de la pensée.
Les porcs-épics
«Par une froide journée, des porcs-épics se serraient les uns contre les autres afin de se tenir chaud. Mais très vite, à force de se serrer, ils ressentirent la brûlure de leurs piquants et durent s’écarter.
Quand ils eurent trop froid, leur instinct les poussa à se rapprocher encore. Mais de nouveau, ils ressentirent la brûlure de leurs piquants. Ils renouvelèrent ce manège plusieurs fois… jusqu’à ce qu’ils trouvent leur juste distance.»
Personnellement, en présence d’une métaphore, je me sens toujours invitée à la décrypter. Car, comme le dit à son tour un autre philosophe que j’aime bien, Vladimir Jankélévitch: «pour les choses complexes et fines, il est souvent, pas seulement bon mais nécessaire, de dire le faux afin de dire le vrai».
Aujourd’hui, je suis attendrie du fait que des porcs-épics aient su combien il est bon, pour tout animal, de se serrer les uns contre les autres dans des situations de grand froid. Sauf que dans leur naïveté, ils sont surpris de découvrir que des porcs-épics, ça pique.
La même naïveté, voire la force de leur instinct, les pousse à nouveau, dit la fable, à rechercher la chaleur de leurs congénères expérimentant à chaque fois la brûlure des piquants des autres.
Ici la fable nous surprend: les porcs-épics ont eu besoin de faire l’expérience «plusieurs fois» pour comprendre enfin quelque chose de la nature des porcs-épics!
J’ai alors une question: chaque porc-épic a-t-il un jour compris que lui aussi, puisqu’il est un porc-épic, il pique? Il pique tous les autres!
Il me semble comprendre alors, qu’en mettant cette fable à sa place dans mon intelligence, je peux en tirer une conclusion pratique: Si je me plains que ma sœur, ma belle-sœur, ma voisine, mon conjoint, mes enfants me piquent chaque fois que j’ai contact avec eux, c’est qu’ils sont… des porcs-épics. Ils piquent par nature même ceux qu’ils aiment.
Toutefois, si ce que je dis est vrai, et relativement à notre fable, JE suis un porc-épic moi aussi! Nous, les humains, ne pouvons cesser de nous rassembler, de nous rencontrer, de nous téléphoner parce que, instinctivement, nous avons besoin de chaleur humaine. Alors, dans l’esprit de tous mes proches, il se peut fort bien que ce soit moi, le porc-épic. Constatation embarrassante.
Y avons-nous déjà pensé? Non, sans doute, parce que les porcs-épics, c’est les autres! Bien sûr!
Vous-mêmes, qu’en pensez-vous?
Comme quoi, aussi, il est périlleux de penser que les philosophes parlent comme des ivrognes.
__________
1 Philosophe allemand 1785-1860, in Michel Piquemal, Les philo-fables, éd. Albin Michel, Le livre de poche, p. 11.
L’œuvre de l’Esprit