Éditorial du dimanche, 31 octobre 2021
Monique Lortie, M.A. phi.
J’aimerais assez que pour que nos morts soient véritablement « souvenus », il y ait plus à chercher au fond de notre mémoire que de vieilles images que nous appelons des souvenirs.
Fin octobre, voici venir novembre, le mois qui célèbre les défunts, nos défunts, ceux de chacun et de tous : le Jour des morts, le 2 novembre. Avec l’expérience funeste des confinements, des restrictions sociales, des peurs de l’autre tout court, il est bon de se rappeler que le calendrier, lui, se souvient.
En réalité, nos morts veulent-ils quelque chose là où ils sont – peu importe où ils sont, nos sentiments à leur égard, sentiments passés, encore présents et qui resteront en nos cœurs jusqu’à la fin de nos jours -, nos sentiments, dis-je, nous convainquent que les morts, « nos » morts, sont quelque part. Les cimetières déjà l’indiquent. Le Jour des morts, c’est l’occasion pour les catholiques, mais pas qu’eux, d’aller fleurir les tombes de leurs proches. À ne pas confondre avec ce qui se célèbre la veille, le 1e novembre, le jour de la Toussaint, alors que les chrétiens rendent hommage à tous les saints, connus et canonisés, ou inconnus. Les protestants ne pratiqueraient pas de culte des saints mais certaines églises luthériennes célèbrent néanmoins cette fête.
Pour beaucoup, la Toussaint, célébrée le 1er novembre, est la fête des morts. Erreur. Comme son nom l’indique, la Toussaint est la fête de tous les saints. C’est le 2 novembre que les catholiques prient pour les défunts.
Mais plus profondément, que veulent nos morts ? Que veulent les morts ? Ils veulent « être souvenus », dit la philosophe, psychologue et éthologue belge, Vinciane Despret. Et notre philosophe d’ajouter que « l’acte de se souvenir est nécessairement un acte de création, de fabulation, de narration ». Cela semble assez juste, témoins nos expériences d’aimer raconter des faits amusants s’agissant de nos morts, quitte à en rajouter pour la fable, à inventer un peu pour donner de la couleur à la narration. Et tout le monde rit avec tendresse.
Pourtant, j’aimerais assez que pour que nos morts soient véritablement « souvenus », il y ait plus à chercher au fond de notre mémoire que de vieilles images que nous appelons des souvenirs, images visuelles ou auditives rabibochées tant bien que mal pour créer l’illusion que nous nous souvenons. J’aimerais plutôt que nous puissions solliciter « d’un passé ancien où rien ne subsiste » écrira Proust, « l’expérience intime d’une “saveur” qui puissent nous envahir, nous soulever au plus intime de nous-mêmes ». Car, écrira encore le fin Marcel Proust, « seules, plus frêles mais plus vivaces, plus immatérielles, plus persistantes, plus véritablement fidèles, l’odeur et la saveur restent longtemps en nous, comme des âmes, à attendre et à espérer, sur la ruine de tout le reste » que nous nous n’oubliions pas de nous souvenir…
Voilà, il me semble, ce qui rendrait véritablement sens à ce fort désir de nos disparus d’être « souvenus ». (31 octobre, 2021)