7 juin 2020 La Sainte Trinité A – Jean 3, 16-18
Souvent, nous percevons la fête de « la Sainte Trinité » comme le rappel d’un grand mystère que même les théologiens n’arrivent pas à percer. Effectivement, l’intelligence humaine ne peut cerner l’identité de Dieu. La Toute-puissance et l’infini de Dieu déborderont toujours notre capacité de comprendre. Mais Dieu s’est révélé à notre humanité. Plutôt que de voir dans le mystère l’incompréhensible, il faut l’aborder comme une lumière inépuisable.
La fête de la Trinité nous fait méditer non pas sur ce que Dieu fait pour nous – création, incarnation, rédemption, – mais sur ce qu’Il est en lui-même. Elle nous renvoie au cœur de la foi chrétienne et, pour comprendre ou deviner, nous devons nous situer non plus sur le registre des idées mais sur le registre du cœur, le registre de l’amour.
Dieu, un Être de communion
Le Judaïsme, l’Islam et le Christianisme affirment qu’il ne peut y avoir qu’un seul et unique Dieu. Ces trois religions reconnaissent en Dieu le « Toute-puissant». Dimanche après dimanche nous récitons « Je crois en Dieu, le Père Tout-puissant ».
Or pour bien des athées ou agnostiques, la « toute-puissance » de Dieu fait problème en particulier en ces temps de crise où la mort et la maladie fauchent tant de vies. Les maux et catastrophes qui affligent notre planète font surgir la question : « où est-il ton Dieu ? » Le doute ne porte plus sur la toute-puissance de Dieu, mais sur son existence.
Pour nous, disciples de Jésus, il y a trois personnes en Dieu. Cette pluralité en Dieu nous rassure : elle permet d’abord de rejeter certaines fausses images de Dieu. Il n’est pas l’Être Tout-Puissant enfermé dans sa solitude : il aurait créé l’univers pour se désennuyer ; ou pour se faire adorer et louer ; ou, pire encore, pour faire peser son autorité sur ses créatures qui ne seraient que des esclaves.
Chacune des personnes de la Trinité est tournée entièrement vers les deux autres. Leur union, ou plutôt leur communion est telle que leur unité n’est jamais brisée. La théologie a développé des concepts pointus pour décrire ces relations. Chose étrange, les Chrétiens se sont divisés pour expliquer l’unité et la communion entre les personnes divines. . . Signe évident que nos mots ne peuvent enfermer une telle réalité.
Saint Jean l’affirme : “Dieu est amour”. I Jn 4, 8. Il ne le dit pas pour rappeler que Dieu nous aime, bien que cela soit le cas. Non. Dieu est amour en lui-même. Avant la création de l’univers, des relations d’amour existaient entre les trois personnes divines.
La création n’est que le débordement de cet amour préexistant. Nous ne sommes pas “les créatures” de Dieu, comme des esclaves ou des marionnettes de sa toute-puissance; nous sommes ses enfants, désirés par amour, voulus pour eux-mêmes.
Les paroles du « Je crois en Dieu » évoquent la toute-puissance de Dieu. Toutefois, il ne s’agit pas d’accepter un concept. Croire en quelqu’un, c’est lui faire pleinement confiance. Ainsi, la Toute-Puissance en question est celle d’un Père. La toute-puissance est mise au service de la paternité de Dieu, elle est au service de son amour. C’est l’amour du Père qui est tout-puissant.
Lorsque la puissance est celle de l’amour, elle n’écrase jamais. Elle laisse toute liberté à l’être aimé et attend sa réponse. Les parents en font l’expérience lorsque leur progéniture quitte le nid familial pour voler de ses propres ailes. L’amour tout-puissant de Dieu va jusqu’à respecter notre liberté et nos choix.
La révélation a été lente et progressive en raison de l’incapacité des humains à imaginer un être tout-puissant qui les aime sans les dominer, qui nous aime sans nous contraindre, qui nous accueille tels que nous sommes. Encore aujourd’hui, tant d’hommes et de femmes de bonne volonté ne voient en Dieu qu’un juge sévère et distant. Quelle tristesse !
Créés à l’image de Dieu
La Trinité demeure, cela est évident, un grand mystère. Mais nous pouvons y trouver des lumières précieuses pour notre vie. En méditant sur la nature de Dieu nous découvrons notre propre identité, notre nature profonde. Nous avons été créés, ne l’oublions jamais, “à l’image et à la ressemblance de Dieu”. Gn 1,27.
Si Dieu, par nature, est relation, i.e. don de soi à l’autre, cela signifie que nous sommes nous aussi des êtres de relation et de communion. Comme personne, je ne peux grandir sans relation aux autres et à Dieu. Je ne puis atteindre ma pleine stature d’homme ou de femme sans ces relations, sans cette ouverture à l’autre et à l’AUTRE.
Plusieurs passages évangéliques ne se comprennent que par nos liens essentiels. Ainsi, lorsque les disciples demandent à Jésus de leur enseigner à prier, il le fait par la prière que nous connaissons : « Notre Père ».
On ne peut se tourner vers Dieu en faisant abstraction de notre appartenance à une famille et de notre relation à cette grande famille dont tous les membres sont aimés du Père.
Le culte chrétien, un culte trinitaire
Nous entrons dans la prière par le signe de croix : “Au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit”. Dans la liturgie nos demandes s’adressent au Père, par le Fils qui vit dans l’unité de l’Esprit. Et nous bénissons « au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit. » Etc.
La référence constante aux trois personnes illustre le fait que le culte chrétien s’adresse à un Dieu trinitaire, un Dieu unique en trois personnes. Cela le distingue du Judaïsme et de l’Islam.
Les formules répétées créent en nous des réflexes. Elles sont nécessaires. Elles nous fournissent les mots qu’il faut. Elles comportent un danger : celui de les répéter sans penser, l’esprit ailleurs, le cœur ailleurs.
Dans les monastères, moines et moniales passent de longues heures à chanter les psaumes. Pour échapper au piège de la routine, à la fin de chaque psaume, ils se lèvent, se tournent vers l’autel et s’inclinent profondément. Alors ils chantent : « Gloire au Père et au Fils et au Saint Esprit ». Ils signifient ainsi que le plus important de la prière, ce ne sont pas les mots. L’important, c’est d’avoir le cœur tourné vers Dieu.
En chantant « Gloire au Père », je dis « Père, prends la place qui te revient dans mon cœur »; quand je dis « gloire au Fils », j’ouvre toute grande l’oreille à la Parole de Jésus; et par le « Gloire au Saint Esprit », j’invite l’Esprit à m’imprégner tout entier de sa force et de ses lumières. L’important réside dans cette relation aux trois personnes.
Une richesse à partager
Savoir que nous sommes aimés de Dieu est une grande richesse. Une source d’apaisement, de sérénité. Un motif d’engagement. Une richesse à partager. Avant de quitter ses apôtres, Jésus leur dit : “Allez donc ! De toutes les nations faites des disciples…”
Pourquoi baptiser toutes les nations ? “Toutes les religions se valent”, dit-on. Alors pourquoi tant d’efforts pour répandre l’Évangile ? Pour accroître le nombre des fidèles inscrits dans nos registres ? Améliorer les statistiques de notre Église face aux autres religions ? Avoir plus de poids dans le monde, plus d’influence ? Cela n’en vaut pas la peine.
Lorsque l’Église baptise au nom des trois personnes divines, ce n’est pas pour multiplier le nombre de ses fidèles et faire grossir l’institution ecclésiale. Le geste de baptiser décrit ce que fait le baptême: il fait participer à la vie des trois personnes divines, à l’amour qui unit le Père, le Fils et l’Esprit.
Offrir le baptême à toutes les nations c’est permettre à tout être humain de connaître son créateur, son père; lui faire découvrir qu’il est aimé de Dieu et pouvoir répondre à cet amour. Sous cet angle, on peut dire que les nations ont le droit de connaître qui est leur Père et ce qu’elles sont pour Lui.
Si nos existences traduisent en actes l’amour de Dieu qui nous habite et nous rend heureux, un amour qui nous pousse à construire un monde meilleur, alors répandre l’Évangile devient urgent. Une urgence accrue de nos jours quand des groupes utilisent la religion pour justifier guerre et massacres.
Conclusion
Pour être fidèle à notre baptême, il faut, comme le répète Saint Paul, nous « laisser conduire par l’Esprit » qui nous révèle notre véritable identité de fils et de filles de Dieu, de frères et sœurs de Jésus, tous appelés à partager l’amour de la trinité elle-même.
Vouloir répondre au vœu du Christ de baptiser toutes les nations constitue un défi énorme, irréaliste si nous ne comptons que sur nos propres forces. Mais, nous l’avons entendu la promesse de Jésus : “Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde.”
Rendons grâce pour cette présence de Jésus au milieu de nous et pour l’action mystérieuse de l’Esprit qui peut transformer les intelligences et les cœurs, en commençant par les nôtres.
Marcel Poirier, a. a.
Faut-il souffrir ?