13 mars 2022 2e dimanche de carême, année C – Luc 9, 28b-36
Lectures de ce jour
« Voici que deux hommes s’entretenaient avec lui : c’étaient Moïse et Élie, apparus dans la gloire. Ils parlaient de son départ qui allait s’accomplir à Jérusalem. »
L’épisode de la transfiguration nous est connu. Ce matin, avec vous, j’aimerais en tirer 3 pensées. La 1ère : notre Dieu est un dieu fidèle : d’Abraham, à Jésus en passant par Moïse, il poursuit son œuvre de salut. La 2e : le passage de Jésus par la passion et la mort n’est pas un but mais un passage obligé pour entrer dans le Royaume, i.e. la vie en Dieu. Enfin, la relation à Dieu, par la prière, transforme un homme, une femme une personne qui resplendit, illumine autour d’elle.
Un Dieu fidèle
Dans son ministère, Jésus s’est rapidement heurté à l’opposition des Scribes et des Pharisiens. Ces derniers voyaient sa prédication et son ministère comme une menace à la foi d’Israël. Dans le sermon sur la montagne, Jésus parle avec autorité.
« Vous avez appris qu’il a été dit aux anciens: Tu ne commettras pas de meurtre; celui qui commettra un meurtre en répondra au tribunal. 22 Et moi, je vous le dis: quiconque se met en colère contre son frère en répondra au tribunal… » Mt 5, 21-22 Tob
« Vous avez appris… Moi, je vous dis » Jésus se présente comme l’égal de Moïse, voire comme supérieur à Moïse dont il interprète les paroles et les exigences. Les Scribes ne s’y trompaient pas. Voilà pourquoi ils cherchaient continuellement à le mette à l’épreuve. Jésus a donc dû préciser sa mission.
« N’allez pas croire que je sois venu abroger la Loi ou les Prophètes: je ne suis pas venu abroger, mais accomplir. » Mt 5, 17 Tob
Jésus accomplit la Loi en lui donnant son sens le plus profond, le plus exigeant. Il la mène à son achèvement par sa propre vie, qui est fidélité totale à la volonté du Père. Ainsi la Loi atteint en la personne de Jésus sa plénitude.
Dans la Loi, une affirmation n’est validée que par la présence de 2 ou 3 témoins. La présence de Moïse, le grand législateur, sert de caution, si l’on peut dire, à la mission de Jésus. Quant à Élie, le défenseur infatigable de l’Alliance, il se joint à Jésus. Les 2 hommes, par leur seule présence, indiquent que Jésus se situe dans la continuité de l’Alliance de Dieu avec son peuple. C’est toujours le même Dieu qui agit, par fidélité à ses promesses. Jésus ne fonde pas une nouvelle religion.
Les apôtres avaient besoin d’être rassurés sur ce point : en assumant la mission que Jésus allait leur confier, ils ne déviaient pas de l’Alliance conclue avec leurs Pères. Et la voix qui se fait entendre de la nuée leur signifie que désormais Dieu leur parle par Jésus et la Parole de Jésus a priorité sur celle de Moïse.
“Celui-ci est mon Fils, celui que j’ai choisi, écoutez-le.”
Et les apôtres, ils sont 3, présentent un témoignage crédible. Cette fidélité de Dieu à travers les âges doit nous rassurer. Il tient à nous.
« Je suis venu pour que les hommes aient la vie et qu’ils l’aient en abondance. » Jn 10, 10 Tob
De la vie à la VIE
La présence de Moïse et d’Élie aux côtés de Jésus confirme que Jésus marche dans la fidélité à ses grands prédécesseurs et qu’en lui se réalise véritablement les promesses de Dieu à Israël.
L’expérience vécue par Pierre et ses compagnons se produit en un moment de crise. Jésus leur a annoncé qu’il montait à Jérusalem pour y subir la Passion et pour y mourir. Les disciples ne comprennent pas. Les évangélistes Mc et Mt signalent que Pierre s’y est vigoureusement opposé, ce qui lui a valu la rebuffade cinglante de Jésus :
“Passe derrière moi, Satan… Tes vues ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes.”
Nous devinons le trouble des apôtres. Ces hommes connaissent les promesses faites à Abraham et la Loi révélée à Moïse. Ils partagent les attentes de leur peuple ; ils ne voient pas comment le sort réservé à Jésus répond aux attentes d’Israël. L’idée d’un Messie rejeté et torturé leur échappe totalement.
Or Moïse et Élie s’entretiennent avec Jésus de son “départ”. On devrait traduire “de son exode” i.e. de sa passion et de sa mort. La passion et la mort de Jésus sont comme l’Exode, i.e. un passage, non un but. Les Israélites avaient dû traverser le désert pour atteindre la Terre promise. Le désert ne fut jamais un but. La passion de Jésus, avec les souffrances et la mort qui s’ensuit n’est pas le but du voyage, mais elles en constituent le passage obligé, ce que, justement, les apôtres ne comprennent pas.
La résistance des disciples rejoint nos propres difficultés. Nous nous laissons séduire par le message de Jésus. Mais comment comprendre ce passage nécessaire par la passion et la mort ? Un passage qui nous a souvent été présenté comme une exigence de Dieu, que l’Évangile décrit pourtant comme un Père aimant. Comment concilier la bonté du Père avec la nécessité de la Passion ? Et quand Jésus nous invite à le suivre sur cette même voie, certains demeurent encore plus perplexes.
Il nous est difficile d’accepter les épreuves et les pertes que la vie nous inflige. Nous n’aimons pas les “exodes”, ces passages qui nous dépouillent et nous obligent à lâcher prise et à mettre notre confiance uniquement en Dieu. Nous sommes bien de la même race que Pierre…
Pourtant, Jésus leur a parlé de résurrection, mais ce langage ne les rejoint pas. Ils ne le comprendront qu’après la résurrection de Jésus et la descente de l’Esprit.
Admettons nous-mêmes que la perspective de la résurrection, la nôtre, n’affleure pas souvent dans le déroulement de nos journées. Comme pour Pierre, notre horizon se limite à l’immédiat et, souvent, nous y enferme. Ce qui rend nos épreuves beaucoup plus lourdes à porter.
La rencontre qui transforme
Jésus entraîne Pierre, Jacques et Jean à la montagne pour prier, la montagne, lieu privilégié de la rencontre avec Dieu. Il répète le geste de Moïse qui rencontrait Dieu sur le mont Sinaï. Élie aussi s’était rendu au Mont Horeb pour rencontrer Dieu.
C’est durant sa prière que “l’aspect de son visage devint autre” et que “son vêtement devint d’une blancheur éblouissante”. Cette blancheur éblouissante signifie un contact avec le monde céleste. Le phénomène, temporaire dans le cas, annonce la résurrection de Jésus, son passage à l’autre monde. Il indique sans doute aussi que Jésus appartient déjà à cet autre monde.
Les apôtres sont alors accablés par un sommeil mystérieux auquel ils résistent tant bien que mal. Ils sont assez réveillés pour percevoir la révélation qui leur est faite, mais pas assez pour en comprendre le sens. Par cette révélation ils pénètrent dans un mystère, celui de l’identité de Jésus; ils n’en découvriront toute la richesse que plus tard.
Les disciples, après cette expérience, “gardèrent le silence et, en ces jours-là, ils ne rapportèrent à personne rien de ce qu’ils avaient vu.”
Faut-il s’étonner de ce silence ? En fait, après cette expérience spirituelle intense, ils devinent qu’ils doivent suivre Jésus, mais sans vraiment comprendre. D’ailleurs, lorsque Pierre suggère de dresser 3 tentes, il montre bien qu’il n’a pas compris. Il voudrait prolonger ce moment d’extase et contourner l’exode pour jouir immédiatement de la gloire du Christ. Pour Pierre et ses compagnons, la compréhension et l’acceptation ne viendront qu’après la résurrection et non sans l’intervention de l’Esprit Saint au moment de la Pentecôte.
Jésus a voulu par cette expérience, préparer ses disciples non seulement à traverser l’épreuve de la passion et de la mort, mais aussi à accueillir l’expérience de la résurrection.
Pierre, Jacques et Jean ont vu en un instant fugitif, Jésus habité par la gloire du Père, et Moïse et Élie, déjà transformés par cette même gloire, i.e. transformés par la vie même de Dieu. De plus ils ont entendu la voix qui, en présence de Moïse et Élie, les invitait à écouter Jésus, car il parlait par lui.
Par-delà Pierre, Jacques et Jean, l’invitation nous est adressée: “Écoutez-le.” Comme les disciples, bien des aspects de son message, dont en particulier, son “exode” et le nôtre, échappent à notre compréhension. C’est en rejoignant Jésus sur la montagne et dans la prière, que nous sera révélé intérieurement le sens de notre vie, la signification de ces exodes qu’il nous faut entreprendre.
Puissions-nous, à mesure que nous avançons dans le Carême, nous mettre davantage à l’écoute de la Parole du Christ. Contrairement aux disciples d’alors, nous savons que son exode ouvre sur une vie nouvelle. Paul nous le répétait :
“Nous sommes citoyens des cieux; c’est à ce titre que nous attendons comme sauveur le Seigneur Jésus-Christ, lui qui transformera nos pauvres corps à l’image de son corps glorieux.”
Forts de cette promesse, de notre identité de “citoyens des cieux”, de notre avenir dans la gloire avec le Christ, nous rendons grâce au Seigneur pour tous ses bienfaits. Nous puiserons dans la communion au corps du Christ et dans la communion avec nos Frères et Sœurs, la force de vivre nos exodes et d’en faire déjà maintenant, des moments de croissance intérieure, de vie plus libre et plus intense. AMEN
Marcel Poirier, a.a.
Quand on a Jésus comme berger