14 février 2021 6e dimanche du temps ordinaire, année B – Marc 1,40-45
Lectures de ce jour
Crier, supplier, parler – tous ces mots désignent l’usage de la Parole, l’usage de la Parole dans les souffrances et dans la joie. L’Évangile de Marc au premier chapitre nous invite à méditer le lien de la Parole et de notre salut. Rappelons-nous qu’un des sens du mot salut est « la santé », ce qui veut dire que l’usage de la parole et notre bien-être sont profondément liés.
La Parole qui n’exclut pas
Pour comprendre l’importance du miracle que Jésus vient de faire en guérissant un lépreux il nous faut comprendre ce qu’est « la lèpre » dont il est question dans la Bible. Très souvent nous pensons à la maladie telle que nous la connaissons aujourd’hui. Dans la Bible ce mot – « la lèpre – tzara’at » – désigne une maladie, mais une maladie bien particulière, un peu différente de celle que nous appelons « la lèpre ». Elle affecte la peau humaine, les vêtements, le mobilier et les murs de la maison. Disons clairement que c’est différent de la lèpre telle que nous la connaissons. La lèpre dans la Bible est la conséquence de la langue malveillante, de ‘la langue calomnieuse’ – lashon hara – telle que la décrit le livre du Lévitique. « Tu ne répandras pas de calomnies contre quelqu’un de ton peuple » (Lv 19, 16). La foi de Jésus c’est la foi des « paroles saintes », des « paroles qui créent et bénissent le monde ». Après avoir créé l’univers, le premier don de Dieu au premier homme a été le pouvoir d’utiliser des mots pour nommer les animaux. Le don de la Parole est un don qui doit susciter le bien et la vie. Alors si quelqu’un parlait mal des autres, il était saisi de lèpre, et il devait se mettre à l’écart pour ne pas « intoxiquer » toutes les relations humaines. Nous pouvons nous demander : pourquoi une telle radicalité au nom du bien commun ? La réponse est toute simple ! Parce que l’être humain par le fait de sa ressemblance à Dieu devrait être « l’être de bénédiction », ce que veut dire – benedicere – « bien parler des autres » !
La Parole qui réintègre
Être mis à l’écart n’est jamais agréable. Sauf que si on parle mal des autres, si notre langue est calomnieuse, on détruit le lien de la confiance. C’est un fait, on brise le lien de la confiance et cette brisure nous met à l’écart, nous isole et nous détruit progressivement, petit à petit. On s’éteint à petit feu. On meurt à petit feu ! Sauf que, comme croyants, nous devons nous rappeler sans cesse que Dieu en qui nous croyons, en qui nous avons mis notre confiance, est un Dieu qui donne la vie. C’est précisément ce que Jésus nous révèle sans cesse. Jésus nous fait découvrir, encore aujourd’hui, que notre Dieu est miséricordieux. Le Dieu que révèle Jésus est attiré par la misère (c’est le sens même du mot « miséricordieux »), et que nul n’est exclu, ce que Jésus est venu démontrer par ses paroles et par ses actes. Dans ce récit de guérison du lépreux de l’Évangile de Marc, il y a deux histoires au lieu d’une : la première, celle qui saute aux yeux, à première lecture, est le récit du miracle : le lépreux est guéri, il retrouve une peau saine, et, du même coup, sa place dans la société. Mais en même temps que ce récit de miracle débute ici une tout autre histoire, bien plus longue, bien plus grave, celle du combat incessant que Jésus a dû mener pour révéler le vrai visage de Dieu. Car, en prenant le risque de toucher le lépreux, Jésus a posé un geste audacieux, illégal, scandaleux même. Jésus, en posant ce geste refuse la pratique qui justifie qu’on pouvait être un exclu au nom même de Dieu.
La Parole qui ose
Il faut dire que la Parole de Dieu – Jésus-Christ – est toujours une parole audacieuse en acte et en vérité. On pourrait penser que le lépreux n’aurait donc jamais dû oser approcher Jésus et Jésus n’aurait jamais dû toucher le lépreux : l’un et l’autre ont transgressé l’exclusion traditionnelle, et c’est en dépit de cette double audace que le miracle a pu naître. Le lépreux tombe à genoux devant Jésus et le supplie : « Si tu le veux, tu peux me purifier ». D’une part, on ne tombe à genoux que devant Dieu ; et d’autre part, à l’époque de Jésus, on attendait avec ferveur la venue du Messie et on savait qu’il inaugurerait une ère de bonheur universel. C’est bien cela que le lépreux demande à Jésus, la guérison promise pour les temps messianiques. Et Jésus répond exactement à cette attente : (littéralement) « Je veux, sois purifié ». « Être purifié », c’est retrouver le lien de relation, de confiance, de l’amour d’être et de se tenir dans la présence de Dieu, des autres et de soi-même sans honte ni peur. Jésus-Christ manifeste par ce geste de guérison que la parole maléfique ou calomnieuse n’aura pas le dernier mot ni dans nos histoires personnelles ni dans l’histoire du monde. L’exclusion n’est pas la solution. La volonté de Jésus se manifeste d’une manière extrêmement claire : « Je veux ! ». Notre salut et notre rédemption se trouvent dans la parole qui bénit, et qui réintègre, en fait, dans la parole qui tend la main à l’autre, qui le touche et qui le relève en dépit et contre toute volonté déshumanisante.
Ce geste de guérison de Jésus annonce et confirme son combat et sa victoire contre toutes les exclusions. La Bonne Nouvelle que Jésus annonce et que le lépreux va s’empresser de rapporter, c’est que désormais personne ne peut être déclaré impur et exclu au nom de Dieu. Jésus nous annonce que chacun d’entre nous est appelé à être reconnu comme « ami de Dieu ». Alors notre parole, en étant portée par la parole de Jésus, serait toujours une parole de bénédiction, une parole restaurée – la bénédiction pour la gloire de Dieu.
Édouard Shatov
Qu’attendons-nous ?