15 novembre 2020 33e dimanche du temps ordinaire A – Mt 25, 14-30
Lorsque je prépare les chants pour la messe, je choisis habituellement l’entrée qui a une certaine résonnance avec l’Évangile du jour ou son interprétation. Pour la messe de ce 33e dimanche du temps ordinaire A, j’aurais choisi comme chant d’entrée Écoute la voix du Seigneur surtout à cause des paroles « qui que tu sois, toi qui aimes la vie, réponds en fidèle ouvrier ». Ces paroles et, d’une certaine manière, l’ensemble des lectures de ce dimanche laissent entendre la fidélité comme étant la responsabilité impliquant la créativité et la productivité au cœur de la vie.
Du patron
En premier lieu, Jésus est identifié dans la parabole de l’Évangile de ce dimanche au maître ou Seigneur, un certain patron fidèle et responsable. Il possède de grands biens qui, en quelque sorte, le définissent ou par lesquels sa personnalité se soigne. Pour ce faire, il désire les faire fructifier. Toutefois, il ne tient pas à les contrôler de plus près. Il s’en détache d’une certaine manière en les confiant à d’autres personnes selon la capacité de chacune et en se retirant. En perdant ainsi un certain contrôle sur ses biens, Jésus comme patron semble mettre sa fidélité et sa responsabilité à l’épreuve. Il apparaît même comme un irresponsable. Le philosophe Emmanuel Levinas le comparerait plutôt au Dieu du livre de la Genèse qui laisse sa trace sur le visage de l’humain, confie la création à ce dernier et s’en retire. En ce sens, Jésus comme patron raffermit sa fidélité et sa responsabilité en confiant ses biens à d’autres personnes. D’une certaine manière, il leur lance un défi comme s’ils avaient le même statut que lui. Par ce défi, il leur permet, à leur tour, d’advenir comme des patrons en étant des gérants et avec qui il peut interagir. Dans nos milieux, certaines personnes qui occupent des postes de direction peuvent être identifiées à Jésus par leur effort d’accepter de perdre un certain contrôle sur leur « propriété » et permettre à d’autres d’advenir : les parents pour leurs enfants, les chefs d’entreprises pour les employés, etc. Certaines personnes développent l’arrogance dans leur couple et ne permettent pas à l’une d’entre elles d’advenir. Il peut s’ensuivre une rupture.
De la personne gérante
En second lieu, la personne gérante porte une double responsabilité qui désigne en même temps sa fidélité ou sa loyauté. Cette double responsabilité consiste respectivement dans sa réponse à l’appel du patron qui lui confie ses biens et dans une certaine obligation à fructifier ces biens, une manière courtoise de répondre au défi lancé. Les deux premiers serviteurs dans l’Évangile de ce dimanche remplissent cette double responsabilité en fructifiant au double l’offre. Il en est de même pour la femme dont parle le livre des Proverbes : elle sait choisir la laine et le lin, et ses mains travaillent volontiers. De ce fait, ces personnes ont répondu à la vie et ont droit aux éloges. Quant au troisième ouvrier, il demeure dans une certaine tranquillité passive. Dans sa Première lettre aux Thessaloniciens, saint Paul fait l’éloge de la sobriété, mais il l’associe à la vigilance. Ainsi, l’inaction du troisième ouvrier le rend irresponsable et sans foi. En fait, la foi ou la fidélité est toujours agissante. Nos milieux enregistrent parfois des cas extrêmes où les employés dilapident les biens qui leur sont confiés. Le cas d’une infirmière de Joliette à qui a été associé le décès d’une patiente est devenu viral. Le gouvernement a été obligé de lui retirer le droit d’exercer sa profession. Le contexte actuel de la pandémie a, certainement, mis à l’épreuve notre foi, notamment dans sa dimension de la participation active à nos célébrations eucharistiques où il nous est interdit de chanter. Toutefois, nous nous rendons disponibles pour agir de diverses autres manières: communication avec nos proches, participation aux rencontres par internet, dons, etc. Par ces manières, nous montrons que nous sommes au service de Dieu et que tel est le sens de notre vie.
En fin de compte, la vie de serviteur peut sembler anodine aux yeux du monde, mais pour Jésus et ses disciples, elle est porteuse d’existence et de joie. Acceptée librement, elle implique loyauté ou fidélité et responsabilité envers les personnes (soi et les autres), les choses (nature, temps, espace) et les activités événementielles des personnes et des choses ainsi que le Tout (Dieu). Elle vient briser l’engrenage de l’envie, l’arrogance, la violence voire l’homicide liés aux tendances compétitives et individualistes du monde. Au lieu de favoriser une sorte de domination seigneuriale, elle porte chaque personne à se recevoir de l’autre – ultimement de Dieu – et à s’en donner à elle ou à lui, à lui accorder une primauté, à désirer à sa venue pour une circularité de la vie.
Sadiki Kyavumba
La Sagesse du Don