Sur le dur combat pour la liberté d’expression que mène l’humoriste québécois, Mike Ward, exprimons-nous, si vous le voulez bien. Faudrait déjà clarifier ce qu’est la liberté et ce qu’est l’expression, …
Une question pour commencer : Mike Ward, l’humoriste, s’exprime-t-il quand il fait sa prestation d’humoriste ? La réponse est non ; Mike Ward « crée » un tableau, une situation abstraite, pour faire rire. Il le dit lui-même d’ailleurs : « Je n’ai rien contre Jérémy Gabriel »*. Mike Ward avoue ainsi, candidement, qu’il ne met aucune émotion personnelle dans sa création : par un jeu de l’intelligence abstraite, il « chosifie »* le jeune garçon, handicapé de surcroît. Pour faire rire. Pour lui, le tour est joué, le show peut avoir lieu. Première découverte : on ne s’« exprime » pas quand on chosifie un être humain. Tout au plus, avoue-t-on qu’on est habile à faire une telle abstraction… puisqu’au fond de soi, on a congédié ses affects. La liberté d’expression hautement réclamée par l’humoriste Mike Ward trouve ici son manque de fondement ; ou frappe son mur…
Le dilemme alors, contrairement à ce que propose l’excellent Joseph Facal, n’est ni moral, ni légal ; il est éthique, il est ontologique. Ou, dit autrement, il ne ressortit ni au religieux ni au législatif. Ou, dit encore autrement, il est lié à la nature des êtres humains. Et à celle du rire. Point.
Il serait étonnant, que, dans cette affaire Ward, tous, nous laissions de côté la véritable question, la question du rire. Celle qui est justement le vrai fond du problème, même si l’humoriste Ward veut la mettre sous le boisseau – au profit de « l’expression ». Le rire, qu’est-ce que c’est ? Tous ceux qui avant nous en ont parlé y ont fait intervenir le rôle de l’intelligence au point de nous rappeler que l’on sait très bien que celui qui ne saisit pas une blague n’a pas d’esprit, n’est pas intelligent. Il est épais.
Or nous aimons rire et tous les prétextes nous sont bons, écrit Henri Bergson*, surtout lorsque nous sommes en groupe. Bergson qui dissèque très finement ce qui est comique, ce qui est risible, remarque que toutefois, toujours, dans chaque figure du comique, comique du distrait, comique de situation, comique de mots, comique de caractère, etc., toujours Bergson remarque un lien avec l’humain et sa dignité – dignité reconnue par tous les pays depuis la Déclaration des Droits de l’Homme, de 1948. Du seul fait qu’il est humain, quelque chose lui est dû.* Mais certains outrepassent cette contrainte, dit-il, et c’est alors la vulgarité. La vulgarité de Mike Ward. Or la vulgarité, elle, n’entre pas dans la définition du comique, du risible, de l’humour. Mike Ward n’est-il pas dès lors réfuté ?
Bergson parle du ressentiment qui agirait comme cause de cette vulgarité. Que les journalistes, alors, ne craignent pas le spectre de la censure dans cette malheureuse affaire.
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* Rapporté par Joseph Facal, in Le Journal de Québec de mardi, 10.12.19, Rire de tout ?
* Thomas De Koninck, s’inspirant de Gabriel Marcel, montre comment la passion fabrique de l’abstrait. Dans certaines conditions, cet être unique auquel normalement nous n’oserions pas faire de mal, devient une chose quelconque.
* Henri Bergson, Œuvres, édition du Centenaire, PUF, p. 484. *
* Paul Ricœur, in J.-F. de Raymond, Les Enjeux des droits de l’homme.
MONIQUE LORTIE
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