Éditorial du dimanche, 20.02.2022
Monique Lortie, M.A. phi.
« #Touche pas à « ma » liberté »
Liberté, le mot est sur toutes les lèvres, aujourd’hui tout particulièrement, alors que se forment dans plusieurs pays en même temps, dont le nôtre, des « Convois pour la liberté ». Des « convois » qui effraient les populations ébahies, et qui excitent les fragilités. D’où l’on ne devrait pas s’étonner des passions qui se déchaînent.
Dans ce phénomène social, est-ce le convoi ou la quête pour la liberté qui inquiète ? Personnellement, j’ai le sentiment que le mot liberté excite parce que chacune et chacun l’utilise à son gré et selon ses états d’âme.
De sorte que l’on ne s’étonnerait pas d’entendre clamer bien clairement un « #Touche pas à « ma » liberté » comme si chacune et chacun était, en droit, possesseur du sens du « mot » liberté.
En fait, il y a lieu de se demander si, concrètement, le mot liberté signifie la même chose, la même réalité, dans chacune des circonstances suivantes : liberté de conscience, liberté de la presse, liberté d’expression, liberté de mouvement, liberté de choisir, liberté de prendre des vacances, liberté d’écrire un livre, liberté de me coucher à l’heure qui me plaît, liberté d’aimer, liberté d’épouser qui je veux, liberté de refuser une proposition, liberté de me méfier de cette personne, liberté religieuse, liberté de faire ce que je veux avec mon argent, avec mon corps, liberté d’étudier, liberté d’association, liberté de contracter, liberté de voter, liberté d’un pays, liberté de plaisanter en public, liberté de faire reconnaître mes droits, liberté de manifester mon désaccord, liberté de me défendre contre un agresseur, etc., etc., etc…
Sur quelle base peut-on prétendre que le mot « liberté » signifie la même chose chaque fois, en toutes ces matières, et en tous ces lieux ? Ne dirait-on pas plutôt qu’il y a chaque fois quelque chose qui « excède » le sens le plus naïf ?
Que dès lors, peut-être faudrait-il être très prudents quand on revendique une liberté pour soi ou que l’on conteste le droit à quelqu’un de réclamer la liberté pour lui et sa famille, pour sa manière de soigner sa vie, pour un travail décent, etc. ? La liberté d’expression, est-ce la même chose, la même « liberté », que la liberté d’association ou que la liberté d’un pays ?…
Arrivons-nous alors à dire que le mot liberté aurait plusieurs sens, qu’il faut découvrir à chaque fois en ayant soin de ne pas imposer, chaque fois, le sens unique qu’il me plaît, à moi, de lui accorder ?
Un exemple de sens unique qui semble avoir la cote aujourd’hui, c’est cette phrase du philosophe utilitariste anglo-saxon, John Stuart Mill : « La liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres. » Le défaut de cette belle phrase, c’est qu’elle considère la liberté comme quelque chose de quantitatif et de spatial. Elle dit la même chose que celle-ci : « La beauté d’une fleur s’arrête là où commence celle des autres fleurs. » Pas plus que la beauté, la liberté n’est quantitative, cela, il me semble, tombe sous le sens, n’est-ce pas ?
La liberté d’une personne ne fait pas ombrage, ni n’entame la liberté d’une autre personne. La phrase que nous aimons tant de John Stuart Mill nous dit, dans sa teneur utilitariste, de nous effacer au profit des autres, ces autres que l’on évalue selon une moyenne quantitative : 40 % d’un groupe doit s’effacer au profit des 60 % qui reste. C’est en réalité, nier « la dignité et la valeur de la personne humaine, l’égalité des droits, l’appel à la raison et à la conscience », comme l’a souligné Thomas De Koninck dans son remarquable ouvrage De la dignité humaine, publié en 1995.
D’où l’on voit que le mot « liberté » n’est pas un mot léger, un mot social, un mot à galvauder, souvent à grand renfort de ressentiment : il demande, au contraire, à être questionné et médité… philosophiquement. – C’est d’ailleurs le thème de nos Samedis philosophes de la session hiver-printemps 2022.
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