Éditorial du dimanche 3 octobre, 2021
J’ose dire que chacun de nous doit aborder chaque tâche, accueillir chaque mouvement, même le plus ordinaire, le plus coutumier, le plus banalement saisonnier avec la conviction que chaque chose, chaque être réalise sa part d’ordre, de nature, de beauté, de divin.
Eh bien, c’est l’automne ! Faut-il s’en réjouir ? C’est certain, disent les uns, voyez les arbres qui se couvrent de couleurs. De vertes, les feuilles deviennent rouges, puis jaunes, puis brunes ; elles étaient humides, elles deviennent sèches, puis elles ne s’agrippent plus à l’arbre, elles tombent sur le sol où une autre carrière les attend… Chaque année, comme une routine naturelle.
Bof, dit l’autre, moi, je n’ai pas le temps de m’arrêter à la poésie. L’automne, c’est monter le garage de toile, rentrer les meubles de patio, courir les quincailleries pour dénicher des sacs de sel à glace ; s’il en reste ! Rien de bien jouissif, que du très banal, et c’est comme ça chaque année. Je connais mon ouvrage.
L’automne, c’est aussi le temps des récoltes des fruits du beau jardin que vous avez aimé tout l’été et qui vous l’a bien rendu. Des légumes comme par miracle se sont formés dans le secret de la terre : des graines sont devenus des salades, des betteraves, des carottes, des choux, des haricots, des citrouilles… Rien que du très banal, en somme, là aussi, rien de très original. C’est la nature qui y pourvoit d’elle-même. Chaque année, chaque année.
L’automne, c’est encore le temps des conserves de légumes ! Les conserves, on dit que c’est amusant à faire ! Pourtant il n’y a là rien de transcendant, c’est surtout un travail de routine et qui nous rive à la cuisine. Et chaque année, chez certains, la cuisine s’affaire à mettre en pots la nourriture que la nature a su faire par elle-même ! C’est ainsi, selon les ordres, dirait Barjavel.
Le philosophe, lui, ou elle, aimerait que l’on puisse tous avoir en tête la question suivante : quel est l’horloger qui a réglé tout ça ? Qui a donné « les ordres » ? Quand je dis « tout ça » j’entends bien sûr cette régularité d’événements que l’automne amène avec lui, année après année. Comme l’horloge qui règle les heures jour après jour. Cette régularité qui touche même à la suite des saisons ; l’automne qui arrive toujours en son temps et qui met l’été sens dessus dessous à la grande satisfaction de tous les êtres de la nature qui savent comment s’y prendre.
Et je n’ai pas assez parlé de ce qui se passe dans les maisons, dans les cuisines, à l’automne. À l’automne, c’est régulier, on y fait des soupes qui sentent bon le basilic et le romarin et des bouillis canadiens qui excitent les conversations des invités. Au besoin, on allumera un feu de foyer qui attirera le chien et les chats. Cela s’impose chaque année, chaque année !
Mais qui donc a si bien réglé ces branle-bas de combat tout aussi saisonniers qu’annuels ?
Un jour, le grand philosophe Héraclite, – Héraclite d’Éphèse, Grèce, VIe siècle avant notre ère -, à des étrangers venus voir le maître à son domicile, et qui, au moment d’entrer, s’arrêtaient en le voyant dans sa cuisine, leur cria, à ce qu’on dit, du fond même de sa cuisine où il se réchauffait près de son « poêle » : « Entrez sans crainte, il y a des dieux aussi dans la cuisine ! » Le mot a traversé les siècles parce qu’il en dit long, n’est-ce pas ? De même, j’ose dire que chacun de nous devrait aborder chaque tâche, accueillir chaque mouvement, même le plus ordinaire, le plus coutumier, le plus banalement commun, avec la conviction que chaque chose, chaque être réalise sa part d’ordre, de nature, de beauté, de divin. N’est-il pas temps de nous réveiller ? On en finirait peut-être avec l’angoisse, le vide et la mauvaise humeur, qui sait !
Monique Lortie, MA phi
lortie.monique@gmail.com