LE PÉCHÉ D’ADAM
Monique Lortie, M.A. phi.
lortie.monique@gmail.com
« Une loi étrange pèse sur toute notre histoire… » (G.K.Chesterton)
Une bonne fée a voulu que je tombe l’autre jour sur un livre qui date de 1901 : autant dire qu’il est démodé. C’est un petit recueil d’essais du grand auteur anglais, G. K. Chesterton. Un petit livre aujourd’hui oublié. Mais peut-être l’auteur lui-même, comme Shakespeare, comme Balzac, n’a-t-il, en réalité, pas vraiment désiré qu’on se souvienne de lui. Mais plutôt qu’on l’oublie. Qu’on l’oublie de manière telle, toutefois, que nous puissions le redécouvrir et le lire à neuf.
Je n’ai pas résisté à l’envie de faire connaître à ceux des lecteurs de cet éditorial du 18 octobre 2021 – soit des cent vingt ans après la première édition -, à ceux, dis-je, qui n’auraient pas souvenir de Chesterton, combien il est de ces écrivains dont la lecture remue profondément en laissant d’heureuses traces dans l’âme de qui s’en approche. Il aura été « un homme d’un génie colossal », a-t-on écrit dans le Times déjà en 1943. Pourtant il semble bien qu’on ait, en effet, oublié sa finesse. C’est pourquoi je ne peux m’empêcher de transcrire aujourd’hui quelques lignes de ce grand auteur, Gilbert Keith Chesterton. Chacune des lignes qui suivront est un délice qui pourrait, pour un petit moment, nous faire oublier la morosité des temps actuels.
« Dans certains pays de montagnes – régions chaotiques qui semblent défier toute idée de nivellement et qui donnent à ceux qui les habitent l’illusion de vivre sur les toits inclinés d’une planète – on rencontre parfois d’immenses vallées remplies de si grandes quantités de rocs qu’on croit voir les débris d’une montagne réduite en morceaux. Ce sont peut-être les restes d’une création expérimentale, détruite puis jetée au rebut, et il est souvent difficile d’imaginer qu’un tel déchet cosmique ait pu être assemblé autrement que par des mains humaines. L’esprit le plus calme, le moins romanesque, considère cet endroit comme un champ de bataille de géants. Pour moi, j’associe toujours involontairement ces paysages désolés à une vision très ancienne : c’est là que fut lapidé un prophète préhistorique, un colosse dont la taille dépassait autant celle de nos prophètes que les dimensions d’un rocher dépassent celles d’un caillou. Celui-là avait prononcé des paroles qui furent jugées honteuses, épouvantables, et la foule, prise de panique, l’ensevelit sous un désert de pierres. Ce chaos est le monument d’une antique frayeur. »
« (…) Ce ne fut pas, assurément, pour des solennités puériles que notre prophète imaginaire fut lapidé au matin du monde. Si nous pesons son cas dans la balance sans défaut de l’imagination, et si nous tenons compte en même temps de la tendance habituelle de l’humanité, nous serions sans doute amenés à conclure qu’il fut plus vraisemblablement massacré pour avoir dit que l’herbe est verte et que les oiseaux chantent au printemps. »
« (…) Une loi étrange pèse sur toute notre histoire : nous tendons continuellement à déprécier ce qui nous entoure, à déprécier notre bonheur, à nous déprécier nous-mêmes. Le grand péché de l’humanité, péché dont la chute d’Adam est le symbole, n’est pas de se laisser aller à l’orgueil mais à une déconcertante dépréciation. Nous sommes portés à trouver les feuilles un peu moins vertes qu’elles ne sont, la neige de Noël un peu moins blanche qu’elle ne l’est. »
« (…) Il m’est donc paru inique que l’humanité trouve toujours mauvaises tant de choses qui ont été assez bonnes pour nous rendre meilleurs, et qu’elle repousse du pied l’échelle qui lui a permis de monter. Il m’a semblé que le progrès devait être autre chose qu’un parricide continuel. »
Combien ce texte nous est contemporain ! Ne met-il pas en lumière nos progrès tout aussi intellectuels que dépréciateurs qui s’appellent aujourd’hui « Cancel Culture », « Woke », « Races », « Théorie du Genre », « Décolonisation », etc… ?
Sacré-Cœur de Jésus, ce cœur qui bat avec tant d’amour en moi, en nous