21 mars 2021 5e dimanche de Carême, année B – Jean 12,20-33
Lectures de ce jour
« Si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit. Qui aime sa vie la perd; qui s’en détache en ce monde la gardera pour la vie éternelle. »
Voilà des affirmations à contre-courant de la pensée dominante autour de nous. La Parole de Dieu ne s’enferme jamais dans le « politiquement correct » et aujourd’hui elle remet en question des attitudes trop répandues face à la souffrance, au don de soi et à la mort.
Le grain de blé qui meurt
Notre société voit dans la santé un droit et on fait tout pour éliminer la souffrance, avec raison d’ailleurs; Jésus lui-même a soulagé celle qu’il rencontrait.
En faisant de la santé un droit, on en est venu à penser que la personne qui souffre, physiquement ou moralement, perd un droit et donc perd une part de sa dignité. En suivant cette logique, ne seraient vraiment dignes que les personnes en parfaite santé et en pleine forme physique et mentale. Vieillir rendrait progressivement moins digne ! La personne handicapée mériterait moins de respect. Avec une telle conception de la vie, la planète compterait bien peu de personnes dignes.
Pourtant nous constatons que souvent les difficultés qui nous ont fait souffrir nous ont fait grandir, sauf que l’on s’en rend compte iniquement après coup. En quoi consiste donc la dignité de l’être humain ? Chose certaine, avant de parler de mourir en dignité, il faudrait se préoccuper de vivre avec dignité, de permettre aux personnes avec peu de ressources de vivre dignement, et il n’en manque pas autour de nous.
Jésus oriente notre réflexion autrement. Il le fait par une belle image : « Si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit. »
Le grain de blé tombé en terre ne meurt pas vraiment ; il germe et se transforme. Il devient autre ; il n’est plus ce qu’il n’était ; il est devenu plus qu’il était et produit un épi qui pourra porter 30, 60 ou 100 grains. Jésus lui-même commente la portée de cette image : « Qui aime sa vie la perd ; qui s’en détache en ce monde la gardera pour la vie éternelle. »
Nous saisissons bien la nuance, car elle est capitale : il ne s’agit pas de la personne normale qui aime la vie, ce don précieux de Dieu pour lequel nous devons sans cesse rendre grâce. Il s’agit de celui ou celle qui aime sa vie ; l’homme ou la femme dont l’horizon se limite à sa seule personne, à son petit moi. Tôt ou tard, même entourée de gens, cette personne se retrouve seule.
L’être humain est un être de relations. En se repliant sur lui-même, sur ses propres désirs, ses propres besoins, il se prive de tout ce que nous apportent les relations avec les autres : l’amour, l’amitié, l’affection, la solidarité, le soutien, etc.
Par contre celui ou celle qui sort de lui-même et s’intéresse aux autres se grandit et s’enrichit. L’amour apporte ses instants de grande joie, mais aussi ses moments de détachements et de souffrance. Les parents peuvent en témoigner qui connaissent des petites morts successives en laissant leur progéniture voler de ses propres ailes.
Jésus parle de la personne qui se détache de sa vie « en ce monde », i.e. ce monde qui vit sans Dieu et nous propose ou nous vend une foule d’idoles. Il faut mourir à notre culture de consommation, de gaspillage, de culte des vedettes, de recherche de la réussite sociale à tout prix, en somme mourir à notre égocentrisme, à notre égoïsme. Mourir à tout cela pour vivre libres.
Fécondité de l’amour du Christ
En utilisant cette image Jésus prévient les apôtres de sa mort imminente. Celle-ci apparaît comme l’échec de sa mission. Pourtant, et c’est ce qu’Il leur annonce, sa mort sera très féconde. « Quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes. »
Dans sa mort, il ne sera plus seul, car il va attirer à lui des multitudes d’hommes et de femmes. Le grain de blé en mourant peut faire pousser un épi qui portera 30, 60 ou 100 grains. La mort de Jésus a attiré et attire encore des centaines de millions d’humains et leur trace la voie de la vraie vie.
Cette image du grain de blé tombé en terre, illustre bien le fait qu’il ne s’agit pas de mourir mais de multiplier la vie. Par son exemple, Jésus nous entraîne. En nous donnant pour le service de nos frères et sœurs, nous faisons vivre autour de nous. Nous participons ainsi à la mission de Jésus. Multiplier la vie. « Moi, je suis venu pour que les hommes aient la vie et qu’ils l’aient en abondance. » Jn 10, 10 Tob
Aller vers les autres et donner sa vie ne va pas de soi. Jésus le reconnaît. L’approche de la passion le bouleverse et surgissent en Lui les réflexes de retrait, de peur. Jésus est vraiment humain; il nous ressemble. Toutefois, Il sait qu’Il peut compter sur la présence de son Père.
« Maintenant mon âme est bouleversée. Que vais-je dire ? ‘Père, sauve-moi de cette heure’ ? Mais non ! C’est pour cela que je suis parvenu à cette heure-ci ! Père, glorifie ton nom ! »
Jésus demande au Père de « glorifier son nom », i.e. de se manifester comme Père, de manifester sa présence, sa puissance. C’est au moment où Jésus fait le don suprême de sa vie qu’il est glorifié par le Père,
La gloire est une manifestation éclatante de la présence de Dieu. Étonnant. Déroutant. Dieu est le plus présent au moment où Jésus se retrouve nu, immobilisé sur la croix, méprisé par les siens, abandonné, sans pouvoir. Au calvaire, la divinité a disparu pour mettre en évidence le don suprême de la vie de Jésus, don motivé uniquement par amour. Au calvaire comme à la crèche, Dieu se révèle impuissant. La semaine sainte nous invite à méditer aussi ce mystère.
La glorification s’accomplit dans la mort. Message pour chacun de nous comme individus et comme Église. Message difficile à accepter. Pas facile de mourir à ses habitudes. Cela vaut pour nos communautés chrétiennes appelées à s’ouvrir et pour l’Église universelle. Nous le voyons bien dans les résistances aux appels du Pape François à plus de simplicité.
Pour donner notre vie, nous devons aussi demander cette force intérieure que le Père communique. Nos seules forces ne suffisent pas.
Conclusion
Frères et Sœurs, la semaine sainte approche. Vivons-la pleinement. Contemplons Jésus. N’ayons pas honte de nos peurs, peur du détachement, peur de la souffrance, peur de la mort. Ces peurs sont un réflexe bien normal. Jésus l’a vécu. Mais, comme Lui, gardons confiance jusqu’au bout, jusqu’au dernier souffle, celui de la victoire.
Que le Seigneur vienne nous redonner un cœur de chair, comme le promettait Jérémie, un cœur non seulement ouvert à sa Parole, mais capable de vibrer aux joies et aux peines de notre entourage, de notre monde. Alors nous pourrons aussi donner un peu plus de notre vie et, qui sait ? la donner totalement.
AMEN
Marcel Poirier
La transfiguration en trois pensées