Éditorial du dimanche 12 décembre 2021
Le cadeau est tout sauf cette chose qui vient du magasin ; il est, essentiellement, une présence.
Je ne sais pas pour vous, mais selon mon sentiment grandissant, le monde se ratatine.
Alors que les médias nous abreuvent de « nouvelles » qui n’en sont plus à force d’être récurrentes et banales – un éminent journal du soir nous annonce que nous venons d’avoir notre première bordée de neige ; qu’il se murmure l’arrivée de madame Unetelle à la haute direction de la SQ, etc. Ou jetées-là, dramatiques, sans aucun lien entre elles : « Un drame national » + « Au moins un cas de COVID 19 dans 73 % des écoles » + « Le prix du café est en hausse » ; – notre faculté d’y comprendre quelque chose qui s’appellerait du sens s’efface progressivement.
Notre désir, naturel, d’un monde commun fait de liens véritables entre tous et chacun, notre souci pour la vérité et le poids des choses, jusqu’au respect pour notre histoire en tant que racine, nous en faisons progressivement le deuil et nous semblons développer avec une certaine indifférence l’art de l’individualisme, c’est-à-dire l’art de vivre en silo, chacun pour soi. Un certain détachement, inquiet et angoissé.
Or, « une vie sans examen ne vaut pas d’être vécue », avait dit Socrate. Au moment où nous réalisons que ce que je viens de dire est peut-être vrai, essayons de réfléchir ensemble sur ce qui se passe, en même temps, pour chacun de nous en décembre.
Ou bien le mois de décembre est un mois comme un autre, ou bien décembre, c’est le mois des Fêtes et alors il y aura là du sens qui mérite d’être médité. Aussi, arrêtons-nous ensemble sur le sens des cadeaux, le Temps des Fêtes, c’est le temps des cadeaux, après tout.
Nous ne sommes pas sans remarquer que si certains considèrent ce temps des cadeaux avec enthousiasme, d’autres le vivent avec une pointe de ressentiment. Même événement, différentes appréciations, différents jugements. Que signifient donc, dans leur vérité objective, les cadeaux ?
Le cadeau est beaucoup moins ambigu qu’on ne le croit. Son histoire, qui remonte aux temps anciens, est très belle, comme on le verra par cette fable. D’abord il faut savoir que Kadeau est de la famille des Chefs, des Maîtres, de ces puissants propriétaires terriens qui possèdent une tête bien faite* et un cheptel qui impose l’admiration.
Par son père, Kadeau est toute richesse et abondance, tandis que par sa mère, il est tout amour et don. Kadeau, dès sa naissance, était ainsi de nature abondante, aimante et généreuse.
Or un jour, une fée malveillante aurait, à ce que l’on dit, glissé un grain de pauvreté dans son berceau… À l’instant même, Kadeau est devenu, et pour toujours, un être dépendant, esclave de celui qui le reçoit.
C’est ainsi que le cadeau est dorénavant et pour toujours un être paradoxal, sans cesse en quête de reconnaissance en même temps qu’il aime à se donner généreusement.
Méditation. Qu’est-ce donc, nous demanderons-nous alors, qui est « reconnu » dans un cadeau ? Eh bien, c’est la double présence, simultanée, de moi et de l’autre : je ne suis plus seul(e) en ce monde, j’aime et je suis aimé(e).
Un cadeau dans sa réalité de cadeau n’est pas cette chose matérielle placée là, sous le sapin ; un cadeau n’est pas une chose. Un cadeau a la nature d’un « intermédiaire ». Sa valeur tient dans un étonnant jeu des contraires : donner suppose toujours, et en même temps, un prendre**.
Maintenant, souvenons-nous des premiers cadeaux de l’histoire de la chrétienté, ceux que, selon le mythe, des rois sages et riches apportèrent à l’enfant Jésus couché humblement dans de la paille. Richesse et pauvreté, reconnaissance et désir, offrande et quête : en même temps.
Le cadeau est tout sauf cette chose qui vient du magasin ; il est, essentiellement, une présence.
MONIQUE LORTIE, M.A. phi
(lortie.monique@gmail.com)
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* KAP – de l’indo-européen.
** « The more I give, the more I have. », Romeo and Juliet, Shakespeare.