Billet du dimanche
Monique Lortie, M.A. phi
Une valeur que nous aimons aujourd’hui plus que tout, c’est notre intimité. Ou, pour le dire mieux, notre intimité « intime », inviolable.
C.S. Lewis nous avait initiés au bousculement des valeurs aux jours d’aujourd’hui ; c’est Pascal Bruckner, celui qui nous a rappelé l’immortel Oblomov, rivé à demeure dans l’intimité de sa chambre, qui attire, cette semaine encore notre attention.
Savons-nous bien que cette intimité personnelle que nous brandissons nous-mêmes comme une valeur évidente a une histoire ? La connaître aiderait peut-être à notre discernement.
Considérons que cette notion d’intimité ne se limite pas à la maison, à la chambre ; il y a aussi l’intimité du corps.
Aujourd’hui, nous réclamons le droit de disposer de notre corps, parce que « mon corps est à moi, exclusivement à moi ». Mon corps, c’est mon intimité la plus intime. Je peux, si je veux, le répudier et me persuader que « je ne suis pas dans le corps qui me convient ». Je peux me croire prisonnière de mon corps malade et exiger qu’on m’en délivre sur-le-champ et tout à jamais ; je peux me convaincre que l’enfant que je porte en moi est encore « mon corps » et que j’ai le loisir d’en disposer si cette « excroissance » me fait peur.
Comment juger de ces « valeurs » qui viendraient d’un progrès moderne ? Progrès moderne, donc à accepter sans autre forme de procès, ne l’oublions pas.
Or, il n’en a pas toujours été ainsi. Et s’il n’en a pas toujours été ainsi, l’on comprend peut-être tout de suite que nous avons à chercher le point de départ de la conception du corps humain comme mon intimité personnelle sur laquelle j’ai tous les droits.
Avant le XVIIIe siècle, racontent les chercheurs, le corps était vécu au vu et au su de tous, même dans ses fonctions les plus organiques. Réclamer quelque intimité, même celle de la chambre à coucher, était quelque chose d’inconnu.
Puis, avec le « progrès » – entendons le progrès du désir de confort, ou de civilisation, dira Robert Élias -, lentement advint la pudeur : ne pas cracher, ne pas déféquer, ne pas faire l’amour devant les autres, ainsi que le retrait dans l’ombre de tout ce qui s’accomplissait jadis en public (Bruckner).
Toutefois, à la longue, cette discrétion, cette pudeur, va être vue comme une contrainte, voire une oppression. Platon ne serait pas content, lui qui fait l’éloge de la pudeur !
Ainsi, dans nos sociétés modernes gagnées par le culte de l’individu, par l’invention de valeurs toutes personnelles, par la place donnée à la « perception », ainsi, dis-je, en arrive-t-on à des postures, à des dérives, de celles que nous citions plus haut dans ce billet s’agissant du droit de disposer de « mon » corps.
Aurions-nous par ce billet, réussi à trouver un principe permettant de juger les nouvelles valeurs de l’individualisme contemporain ? Comment comprendre, alors, le « Qui suis-je pour juger ? » du pape François ?