14 juin 2020 Le Saint-Sacrement du Corps et du Sang du Christ A – Jean 6, 51-58
À la suite de ce discours, des quantités de gens ont cessé de suivre Jésus : ce qu’il disait était inacceptable ; alors il s’est retourné vers les Douze et il leur a demandé : « Et vous, ne voulez-vous pas partir ? » C’est là que Pierre a répondu « Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as des paroles de vie éternelle ». Voilà le paradoxe de la foi : ces paroles sont humainement incompréhensibles et pourtant elles nous font vivre. Il nous faut suivre le chemin de Pierre : vivre de ces paroles, les laisser nous nourrir et nous pénétrer, sans prétendre les expliquer. Il y a là déjà une grande leçon : ce n’est pas dans les livres qu’il faut chercher l’explication de l’Eucharistie ; mieux vaut y participer, laisser le Christ nous entraîner dans son mystère de vie.
Le mot qui revient le plus souvent dans ce texte, c’est la vie : « Le pain que je donnerai, c’est ma chair, (c’est-à-dire ma vie) donnée pour que le monde ait la vie. » La lettre aux Hébreux le dit bien : « En entrant dans le monde, le Christ dit : Voici je suis venu faire ta volonté » et la volonté de Dieu, on le sait, c’est que le monde ait la vie. Une vie qui est cadeau : « le pain que je donnerai » ; tout est cadeau : Isaïe l’avait déjà annoncé « O vous qui êtes assoiffés, venez vers les eaux, même celui qui n’a pas d’argent, venez ! Demandez du grain et mangez ; venez et buvez – sans argent, sans paiement – du vin et du lait. A quoi bon dépenser votre argent pour ce qui ne nourrit pas, votre labeur pour ce qui ne rassasie pas ? Ecoutez donc, écoutez-moi, et mangez ce qui est bon ; que vous trouviez votre jouissance dans des mets savoureux : tendez l’oreille, venez vers moi, écoutez et vous vivrez. »
Et ce qui nous fait vivre, c’est le don de la vie du Christ, ce que nous appelons son sacrifice ; mais il ne faut pas nous méprendre sur le sens du mot « sacrifice ». Tout au long de l’histoire biblique, on a assisté à une transformation, une véritable conversion de la notion de sacrifice ; on peut déceler plusieurs étapes dans cette pédagogie qui a pris des siècles.
Au début de l’histoire biblique, le peuple hébreu pratiquait, comme beaucoup d’autres peuples, des sacrifices sanglants, d’humains et d’animaux. Spontanément, pour s’approcher de Dieu, pour entrer en communion avec Lui, on croyait devoir tuer. Au fond pour entrer dans le monde du Dieu de la vie, on lui rendait ce qui lui appartient, la vie, donc on tuait.
La première étape de la pédagogie biblique a été l’interdiction formelle des sacrifices humains ; et ce dès la première rencontre entre Dieu et le peuple qu’il s’est choisi ; puisque c’est à Abraham que cette interdiction a été faite « Ne lève pas la main sur l’enfant ». Et depuis Abraham, cette interdiction ne s’est jamais démentie ; chaque fois qu’il l’a fallu, les prophètes l’ont rappelée en disant que les sacrifices humains sont une abomination aux yeux de Dieu. Et déjà, dès le temps d’Abraham, la Bible ouvre des horizons nouveaux en présentant comme un modèle de sacrifice au Dieu très-haut une simple offrande de pain et de vin.
On a pourtant continué quand même à pratiquer des sacrifices sanglants pendant encore des siècles. Dieu use de patience envers nous ; comme dit Pierre, « Pour lui, mille ans sont comme un jour » …
La deuxième étape, c’est Moïse qui l’a fait franchir à son peuple : il a gardé les rites ancestraux, les sacrifices d’animaux, mais il leur a donné un sens nouveau. Désormais, ce qui comptait, c’était l’alliance avec le Dieu libérateur.
Puis est venue toute la pédagogie des prophètes : pour eux, l’important, bien plus que l’offrande elle-même, c’est le cœur de celui qui offre, un cœur qui aime. Et ils n’ont pas de mots trop sévères pour ceux qui maltraitent leurs frères et se présentent devant Dieu, les mains chargées d’offrandes. « Vos mains sont pleines de sang » dit Isaïe. Et Osée a cette phrase superbe que Jésus lui-même a rappelée « C’est la miséricorde que je veux et non les sacrifices ». Michée résume magnifiquement cette leçon : « On t’a fait savoir, ô homme, ce qui est bien, ce que le SEIGNEUR réclame de toi. Rien d’autre que de respecter le droit et la justice et de marcher humblement avec ton Dieu ».
L’étape finale de cette pédagogie, ce sont les fameux chants du Serviteur du deuxième Isaïe : à travers ces quatre textes, on découvre ce qu’est le véritable sacrifice que Dieu attend de nous ; sacrifier (faire du sacré), entrer en communion avec le Dieu de la vie, ce n’est pas tuer ; c’est faire vivre les autres, c’est-à-dire mettre nos vies au service de nos frères. Le Nouveau Testament présente souvent Jésus comme ce Serviteur annoncé par Isaïe ; sa vie est tout entière donnée pour les hommes. Elle est le sacrifice parfait tel que la Bible a essayé de l’inculquer à l’humanité. « Le pain que je donnerai ; c’est ma chair donnée pour que le monde ait la vie ». Et désormais, dans la vie donnée du Christ, nous accueillons la vie même de Dieu : « De même que le Père qui est vivant m’a envoyé, et que moi je vis par le Père, de même aussi celui qui me mangera vivra par moi ».
Marie-Noëlle Thabut