J’ai trouvé, cette semaine, de belles pages sur le hockey, en fait sur certains des joueurs de hockey, des années 60-70-80. Le texte provient du tout dernier livre de notre anthropologue québécois favori, Serge Bouchard, Un Café avec Marie. Le petit tableau brossé par Bouchard s’intitule : Le chandail numéro 14 des Canadiens de Montréal.
Je n’ai jamais été fan de hockey mais tous les noms cités, je les connais. Jusque-là, rien que du très banal, au fond : l’auteur décrit à grands traits le physique surprenant, le style à part, et la carrière d’un Claude Provost, un joueur exceptionnel de l’époque. Le lecteur y retrouvera sans doute avec plaisir des souvenirs d’enfance ou de jeunesse. Des souvenirs, la mémoire de moments excitants de ces années dorées pour le hockey au Québec.
Mais voilà où Bouchard a attiré mon attention : en apparence, ce texte ne sert à rien, à rien d’autre qu’à divertir le lecteur. Et pourtant, il le touche, il le remue, C’est alors que j’ai pensé à Jacqueline de Romilly*, la grande spécialiste des littératures anciennes, de la culture et de l’éducation, qui écrirait à propos de ce texte qu’il rejoint en nous toute la masse d’autres souvenirs d’enfance oubliés : « Quand ils ont été longuement accumulés, la présence de ces souvenirs constitue un trésor particulièrement riche et varié et devient alors comme une seconde nature ». « Cette présence de quelque chose qui survit à l’oubli, malgré l’oubli, et y survit en quelque sorte de façon définitive, ajoute une sorte de halo à toutes les impressions, à toutes les expériences, à toutes les connaissances qui se présentent ensuite. » J’ai pensé que ce devait être pour cela que la lecture du texte de notre Bouchard touchera et remuera le lecteur ; et ça m’a bouleversée. Et réjouie. Comme quoi la lecture nous est précieuse, n’est-ce pas ?
De Romilly encore : « Celui-là qui aura reçu au fond de lui-même tout un monde de sensations – et le monde du hockey en était un à l’époque -, d’idées ou de savoirs ; tout cela sera en lui, aura déposé des couches successives de connaissances non pas présentes à la conscience mais plus ou moins disponibles, plus ou moins précises, qui rempliront à chaque instant ses perceptions de l’existence. Celui-là est devenu quelqu’un en qui les voies de la sensation et, par suite, des sentiments, ont été ouvertes, tracées et marquées pour toujours. »
Il y a plus : ce lecteur « allumé » pourra remarquer combien un simple texte qui parle de hockey peut en même temps révéler des secrets philosophiques d’une vie réussie. L’auteur y mentionne la bonté, la gentillesse, l’humilité, la simplicité de ce grand Claude Provost des années 60. Puis, il rappelle, en même temps – ce n’est pas un hasard, Bouchard est très futé -, l’élégance et l’intelligence d’un Béliveau, la flamboyance et le magnétisme d’un Geoffrion, le génie de Jacques Plante, la sueur de ces travailleurs acharnés qui donnaient tout pour l’honneur. Le rappel, par la littérature, de ces grands sportifs-là est une joie et un encouragement.
En somme, la culture de tout un chacun est faite de « souvenirs souvent devenus inconscients, presque oubliés, mais qui se sont incorporés à l’être lui-même au point de faire un tout avec lui et de donner un sens à ses moindres expériences ». Et de la joie.
* In Le Trésor des savoirs oubliés.
MONIQUE LORTIE, M.A. phi
« Restez éveillés et priez en tout temps… »