J’écris pour celles et ceux que la joie intéresse. Les autres devront attendre, n’est-ce pas, mon prochain éditorial qui sera publié dans deux semaines, selon le rythme habituel…
Il peut sembler étonnant de parler de la joie d’exister alors que nous sommes en pleine pandémie sauvage, de celles qui nous étouffent d’incertitudes profondes et d’angoisses insupportables.
– Si par hasard l’on doutait que nous soyons plongés dans ce phénomène qui s’appelle pandémie, il faudrait alors se tourner vers les effets, des effets qui ne mentent pas. Au demeurant, épidémie de Covid-19 ou autre chose, ces temps-ci, les effets sont là ; la détresse est là.
Pourtant, rendons-nous bien compte que l’univers, lui, qui existe toujours malgré la pandémie, s’il pouvait être conscient de lui-même, dit le profond Gœthe, exulterait de joie.
Pourquoi donc nous, êtres humains, en principe conscients de nous-mêmes, sommes-nous devenus si peu enclins à l’émerveillement et à la joie ? Une pandémie nous ferait-elle perdre la réalité concrète de cette nature sublime dans laquelle nous vivons ?
Mais enfin, c’est nous qui sentons les signes de la fin de l’hiver, de la douceur du printemps qui s’annonce ces jours-ci, du réveil des arbres et des cours d’eau, du retour des oiseaux chanteurs, en même temps que les odeurs annonciatrices de vie ! « C’est aux êtres pleins de vie qu’il faut demander le goût de la vie, la joie spontanée de l’existence, pas à ceux qui ont l’œil triste », dit encore Gœthe*.
Ce qui devrait nous remplir de joie, c’est le sentiment même de notre existence, écrit Pierre Hadot*. Or les distractions, les nostalgies du passé – ce passé fût-il hier -, le ressentiment et l’apitoiement, les discours incessants que je laisse trotter dans ma tête*, me tiennent éloignés de mon existence réelle.
La bonne nouvelle, c’est qu’il existerait un moyen, ou plutôt, une « manière de vivre », selon l’enseignement des philosophes antiques, qui nous prédisposerait à cette joie d’exister.
Ce moyen, le voici : s’exercer à vivre le moment présent avec toute sa conscience. Lorsque la plus banale, la plus triviale des actions quotidiennes capte en elle toute ma conscience, ou mieux, lorsque que je mets toute ma conscience dans cette activité, cette tâche, ce geste, et cela pendant toute la durée de l’action ou de la tâche ; lorsque la valeur que je sais donner à tout que j’ai à faire aujourd’hui m’amène à dépasser le choix et le caprice d’un plaisir immédiat ; alors je sens cette joie d’exister véritablement monter en moi.
Expérience inexplicable, incommunicable, mais étonnamment réelle et parfaitement ressentie.
Il ne s’agit donc pas de se forcer à imaginer une joie toute romantique et factice ; cela n’est pas joie. Il s’agit plutôt d’accepter comme nouveau mode de vie cette attention de la conscience qui produit du sens. Et de la joie véritable.
Alors, et alors seulement, nous pourrons laisser glisser sur nous les peurs, les colères et les autres folies produites par ce temps de pandémie sans en être les victimes malheureuses et désorientées.
* In « N’oublie pas de vivre, Gœthe et la tradition des exercices spirituels », de Pierre Hadot. Cet ouvrage nous sert de guide pour nos rencontres-philo hebdomadaires ce printemps 2021.
* « Il s’appelle Pensouillard. C’est un hamster. Un tout petit hamster. Il court. Dans une roulette. À l’intérieur de votre tête. Vous fait la vie dure. Vous la rend même impossible, parfois. Euh, souvent. Certains jours, il court plus vite que d’autres. Certaines nuits, il vous empêche carrément de dormir » : un livre de Serge Marquis, psychologue.
MONIQUE LORTIE, M.A.phi
Heureux, vous les pauvres…., vous qui avez faim, … vous qui pleurez…