7 mars 2021 3e dimanche de Carême, année B – Jean 2,13-25
Lectures de ce jour
« Je suis le Seigneur ton Dieu, qui t’ai fait sortir du pays d’Égypte, de la maison d’esclavage. »
Le Dieu qui s’adresse à son peuple est un Dieu libérateur et tout ce qu’il lui propose vise à le rendre libre. Les moyens dont Il se sert n’obéissent pas à la logique humaine et Paul reconnait que la sagesse de Dieu est perçue comme folie ou scandale. Jésus, pour sa part, chasse les vendeurs du temple ; Il rejette tout compromis quand il s’agit de la rencontre avec Dieu. L’authenticité demeure sa règle. Libération, Sagesse et Authenticité : 3 mots qui orientent notre médiation aujourd’hui.
Libération
Le Dieu d’Israël a libéré son peuple de l’esclavage en Égypte. C’était là le 1er pas d’une libération plus profonde. Nous venons d’entendre la version la plus ancienne de ce que nous appelons les « 10 commandements » et que les Juifs désignent comme les « 10 paroles ». La différence de langage traduit une différence de perception. Israël accueille les « paroles », en fait toute la Loi, non comme une entrave à sa liberté mais plutôt comme un itinéraire à suivre pour atteindre la pleine liberté.
Nos sociétés, ONU, Canada, Québec, ont élaboré des « chartes des droits ». Chose excellente en soi. Leur faiblesse est de ne pas tenir compte de notre propension à faire valoir nos droits plus que nos obligations, voire parfois à oublier les droits et les besoins des autres.
Les 10 paroles communiquées par Moïse visent davantage à protéger les droits des autres : « tu ne tueras pas, … tu ne voleras pas, pas de faux témoignage, pas d’adultère, pas de rapt, etc. » Elles tracent la limite de ma liberté et indiquent le strict minimum pour le fonctionnement du groupe. La loi du sabbat fait du7e jour, un jour de repos pour tous, i.e. serviteurs, esclaves, immigrés, même les bêtes; elle limite l’exploitation possible des plus faibles.
Ces paroles, sans le dire, désignent la limite aux pulsions d’accaparement, de domination dont nous avons à nous libérer. Plus tard, Jésus donnera le sens des commandements. À la demande quel est le plus grand des commandements, Il répond : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta pensée. C’est là le grand, le premier commandement. Un second est aussi important: Tu aimeras ton prochain comme toi-même. De ces deux commandements dépendent toute la Loi et les Prophètes.» Mt 22, 37-40 Tob
Ce Dieu « jaloux » tient à tisser des liens forts entre nous et avec Lui. Accueillons ses paroles comme autant de voies de libération, y inclus de ces forces égoïstes qui nous habitent tous pour assurer la liberté et le respect des autres. Si nous interprétions les chartes des droits, comme étant les droits des autres, et pas seulement des nôtres, le monde serait bien différent.
Ces paroles révèlent, – en ce sens elles sont révolutionnaires, – que le culte à rendre à Dieu doit nécessairement s’accompagner du respect du prochain. Impossible de plaire à Dieu en écrasant son frère, en abusant de sa sœur ! Les prophètes ont dénoncé vigoureusement le culte sans justice.
Sagesse
Les Grecs, écrit Saint Paul, recherchent la sagesse et celle-ci se fonde sur des arguments rationnels. Nos contemporains recherchent la vérité et accordent à la science une valeur absolue. En tout, il leur faut des arguments irréfutables. Voilà pourquoi tous les mouvements se donnent des airs de rationalité. Les divers groupes « complotistes » en offrent un exemple.
Pour sa part, le peuple d’Israël attendait un Messie puissant, capable de le libérer de la domination étrangère. L’idée d’un Messie faible, à la merci des hommes ne passait pas. Les passages de l’Ancient Testament qui présentent la figure du Serviteur souffrant décrit par Isaïe, sont appliqués au peuple tout entier et non à un individu.
Juifs et païens ( i.e. les non-juifs ), trouvent ridicule l’idée d’un Dieu qui se laisse écraser par la méchanceté des hommes, se laisse crucifier pour ensuite ressusciter. Croire au Christ mort et ressuscité est tout-à-fait déraisonnable. Conscient de la difficulté, Paul affirme avec force, sans atténuer le fait ; “Nous proclamons un Messie crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les peuples païens.”
Sommes-nous condamnés à choisir entre la foi et la science ? À renoncer à la raison ? Dès le début, confrontés à cette difficulté, les Chrétiens n’ont jamais rejeté la réalité et n’ont pas renoncé à comprendre.
Le chemin emprunté par Jésus, chemin qui passe par la croix, demeure un mystère, une folie, mais il s’agit d’une folie d’amour. Jésus a donné sa vie pour nous. L’amour de Dieu prend des allures déroutantes; il est déraisonnable, du moins aux yeux de la logique humaine; il va plus loin que ce que nous en attendrions. L’amour vrai déborde toujours les frontières du raisonnable et peut être considéré comme le nouveau nom de la sagesse.
Authenticité
Pour comprendre la colère de Jésus, tentons d’imaginer les activités qui se déroulaient dans le temple. L’énorme édifice comprenait un large espace, appelé « parvis », ouvert à tous, Juifs et non-juifs. Au centre, le Sanctuaire, accessible aux seuls Juifs. Au fond du sanctuaire se trouvait le « Saint des Saints », un espace restreint où seul le grand prêtre y entrait une fois par an pour y offrir un sacrifice.
Au temps de Jésus, les vendeurs d’animaux avaient envahi le parvis avec leur bétail pour les sacrifices. Comme on ne pouvait verser de dons pour le temple avec une monnaie d’origine païenne, les changeurs étaient nécessaires. Encombré et bruyant, le parvis était devenu un centre commercial et bloquait l’accès sanctuaire, lieu de la prière.
À la vue de tout ce brouhaha, Jésus se souvient de la parole du prophète Zacharie : « Il n’y aura plus de marchand dans la Maison du Seigneur de l’univers, en ce jour-là » Za 14,21
Il ne peut tolérer que la maison du Père serve à l’enrichissement de quelques-uns. Son amour du Père ne le permet pas. D’où sa colère, son indignation. Par son action vigoureuse, il annonce un changement majeur : le vrai temple, la résidence du Père ne sera plus dans un édifice, mais dans le cœur de chaque personne.
Désormais, plus besoin de temple. Jésus sera lui-même le temple. Plus nécessaire d’offrir des bêtes en sacrifice pour être en communion avec Dieu; le sang des animaux ne peut rétablir le contact avec Dieu. D’édifice de pierre, le temple devient une personne. Un peu comme nous sommes dans le cœur d’un être qui nous aime et qu’il est présent en nous.
En nous unissant au Christ, nous devenons à notre tour le temple de Dieu. Paul l’affirme expressément.
« Ne savez-vous pas que vous êtes le temple de Dieu et que l’Esprit de Dieu habite en vous? » 1Co 3, 16 Tob
Jésus ne tolère pas que l’on exploite le désir des fidèles venus là pour rencontrer Dieu. Il redonne au temple sa pureté. Chacun et chacune de nous est un temple du Seigneur. Examinons notre cœur et invitons Jésus à venir, – de préférence sans fouet,- y faire un bon ménage et nous libérer de tout ce qui en nous, fait obstacle à son amour et à notre amour pour les autres.
Conclusion
La Parole de Dieu nous appelle à devenir des êtres libres. Sachons l’accueillir toujours comme une voie de libération. Pour beaucoup, cette Parole demeure une folie. Pour nous, elle est Sagesse, qui nous fait entrer dans la folie de l’amour. Et, comme Jésus, éliminons les compromis qui vident le message et engourdit notre engagement.
Autrefois, Jésus a nettoyé le parvis du temple. Qu’il vienne aujourd’hui désencombrer nos cœurs et en chasser tous les vendeurs d’illusion de notre monde de consommation. Demain, 8 mars, ce sera la journée internationale des femmes. Voyons-y un champ d’action où s’applique le respect de la dignité et des droits d’une partie importante de l’humanité. Notre relation au Christ nous pousse à l’engagement, celui-là ou d’autres.
Nous ne pouvons atteindre la pleine liberté, la nôtre et celle des autres par nos propres moyens. Mais, par l’eucharistie, nous venons prendre les forces pour avancer libres, en pleine sagesse et sans compromission.
Amen.
Marcel Poirier
PÂQUES-LE TEMPS DES PASSAGES