19 juillet 2020 16e dimanche du temps ordinaire A – Matthieu 13, 24-43
Sœurs et frères bien-aimés,
Il nous faut scruter à nouveau frais l’humanité, la vie et le monde avec beaucoup de réalisme, et en même temps beaucoup d’espérance afin de comprendre la manière avec laquelle Dieu agit en chacun de nous et pour nous. Une observation concrète de l’existence humaine témoigne d’un mélange paradoxal entre le bien et le mal, la réussite et l’échec, le bonheur et la souffrance, la force et la fragilité. Ce mélange peut nous partager entre deux extrêmes. D’un côté, le regard sur la vie, le monde ou sur le prochain peut être obscurci par un pessimisme qui dénie tout bien à autrui et autour de soi. D’un autre côté, l’on peut faire foi à un optimisme irréaliste qui dénie l’existence du mal. C’est pourquoi les textes liturgiques de ce 16e dimanche nous font redécouvrir la patience, la sollicitude de Dieu et l’efficacité de sa grâce qui, au-delà de tous nos préjugés humains, opère dans la vie de chacun et dans le monde, à la manière d’un ferment et pour notre salut. Voilà qui constitue ainsi la pointe du message évangélique donné au travers des trois paraboles rapportées par saint Matthieu.
Pour nous y entraîner, le livre de la sagesse nous fait un portrait de Dieu. Une question non négligeable surgit à cet effet : pourquoi nécessairement une relecture de notre image de Dieu pour nous convaincre de la sollicitude et la bienveillance de Dieu à l’égard de tous sans exception, sur laquelle nous devons calquer nos relations humaines malgré nos différentes orientations de vie?
C’est en réalité parce que notre regard sur la vie, le monde et sur le prochain témoigne souvent de l’idée que nous nous faisons de Dieu. L’idée que chacun a de Dieu affecte possiblement sa manière d’exister, de croire, de voir, de juger, d’agir. Elle affecte positivement ou négativement nos relations humaines. Et inversement, notre manière d’exister, de voir, de juger, d’agir, peut-être maladroitement transposée sur Dieu au point où Dieu ne correspond plus avec la réalité qu’il révèle de lui-même. Il devient le Dieu taillé à la mesure de nos fantasmes ou imaginations. C’est donc d’un tel risque que nous épargne le livre de la sagesse qui nous livre un portrait de Dieu quelque peu opposé à ce que nous pouvons imaginer.
En nous rappelant qu’il est celui dont le jugement et la force se déploient avec ménagement, indulgence et justice et miséricorde en faveur des hommes, le livre de la sagesse atteste que Dieu se situe au-delà des oppositions simples que nous pouvons lui attribuer et que nous transposons sur la vie. Dieu n’est pas un juge intransigeant. Sa justice ne correspond pas à nos schèmes juridiques et vindicatifs. Dieu n’est pas un justicier. Sa justice n’est pas celle qui condamne, mais plutôt celle qui justifie, c’est-à-dire qui rend toute personne juste selon une pédagogie d’accoutumance qui se déploie dans la patience, la sollicitude et la bienveillance. C’est pourquoi bien qu’il soit transcendant et trois fois saint, et bien que le péché lui déplaise, Dieu se rend proche, il n’hésite pas à venir chercher le pécheur sur son propre terrain pour lui manifester gratuitement sa grâce. La bienveillance et la justice justifiante de Dieu l’induisent incessamment à vouloir revêtir celui ou celle que l’on considère comme ivraie de sa nature originelle de bon grain. C’est pourquoi le ministère terrestre de Jésus témoigne de sa sollicitude envers toutes les couches humaines sans exception. Et l’exhortation donnée dans la première parabole le confirme. Car Jésus nous invite à la même bienveillance les uns envers les autres, quelques soient nos différents choix de vie. D’où cette exhortation : « en enlevant l’ivraie, vous risquez d’arracher le blé en même temps. Laissez-les pousser ensemble jusqu’à la moisson ».
Jésus vient ainsi nous sortir des préjugés, des discriminations et des jugements hâtifs et sévères les uns envers les autres. C’est l’occasion pour nous de comprendre une fois pour toutes que les chrétiens n’ont pas vocation d’anticiper le jugement dernier sur la terre, ou du moins sur leurs frères et sœurs. Leur vocation essentielle est de témoigner de l’amour et la miséricorde dont tous sont gratifiés par Dieu lui-même. Se dérober d’une telle vocation, c’est ignorer qu’à chaque instant de notre vie, nous sommes tous, par notre sommeil latent, des proies pour l’ennemi qui travaille dans le monde de manière à semer l’ivraie dans nos cœurs, et dans nos vies. En se dérobant de notre vocation chrétienne à l’amour, la miséricorde et la compassion, il est possible que nous devenions des juges de nos frères et sœurs que nous ne connaissons que partiellement, contrairement à Dieu qui, seul, scrute les cœurs et les reins et dont la grâce agit à la manière d’un ferment. Les deux dernières paraboles parlent d’ailleurs de « la graine de moutarde » qui grandit et devient un arbre, et de la « levure » capable de faire lever une masse énorme de pate. Ces paraboles sont des symboles qui décrivent comment se réalise le dessein de salut de Dieu pour chaque être humain avec patience. Cette graine de moutarde, cette levure, c’est la grâce de Dieu opérant dans l’histoire et en chacun de nous. C’est aussi l’Esprit saint qui, comme le souligne saint Paul à la deuxième lecture, vient au secours de notre faiblesse par des gémissements inestimables pour aider chacun à s’élever vers le Seigneur. Cela donne de croire qu’avec le Seigneur rien n’est définitivement perdu. Tout est transformé en temps opportun. Dieu opère par une énergie secrète, mais qui est d’une efficacité inimaginable sinon l’Église ne parlerait pas de saint Paul devenu l’apôtre des nations et Marie Madeleine, premier apôtre de la résurrection du Seigneur. C’est donc dire que le Royaume de Dieu est en marche et croît. La lente croissance de ce royaume est une certitude. Il croit dans le monde et en chacun de nous par des voies qui nous sont insoupçonnables.
Enfin, le Seigneur nous fait découvrir le vrai visage de l’Église. L’Église du Seigneur n’est pas une communauté des « purs ». Comme l’ont souligné les pères conciliaires de Vatican II, « Ecclesia semper sancta et peccatrix » (une Église sainte et pécheresse). C’est son vrai visage. Elle est une assemblée d’hommes et de femmes qui, fort de leur vulnérabilité, tombent, mais cherchent toujours à se relever. Elle est une communauté des hommes et des femmes qui se sentent pardonnés et qui pardonnent. Ce rappel vient à point nommé si tant est que l’actualité chrétienne est marquée par des condamnations, des jugements sévères, des discriminations impitoyables, alors même que le plus souvent nos sentences sont faussées. Elles s’appuient sur des apparences et des vues humaines. Jésus nous enseigne aujourd’hui en quoi consiste concrètement l’efficacité de notre foi chrétienne dans le monde de ce temps. Elle n’est pas dans la chasse aux sorciers et aux impurs, mais elle se trouve concrètement dans notre capacité d’aimer et de transformer intérieurement l’humanité pour que la grâce de Dieu soit accueillie.
Abbé Joseph-Désiré Awono