C’EST QU’IL Y A L’« APRÈS »
Engoncés dans la pandémie du Covid-19, confinés d’un confinement que l’on ne comprend pas et qui nous étouffe, nous avons perdu nos repères. Nous avions foi en la modernité, nous étions ivres de progrès sans limites, nous avions cru que la mort serait vaincue par les découvertes de « la science », que le temps et l’espace eux-mêmes seraient vaincus par le numérique. L’esprit léger, nous avions inventé des valeurs nouvelles, ou plutôt inventé des contre-valeurs bien subjectives pour être libres comme l’air. Puis une nouvelle sociologie, une nouvelle culture – planétaire et tout à la fois, raciste. Nous croyions à l’avènement d’un transhumain détaché de ses sens bricolant les données bio-anthropologiques de la naissance et du sexe ; nous avions cyniquement oublié que notre vie, celle que nous voulions égoïstement originale, ne pouvait exister que sur le terreau commun de la Condition Humaine. Nous avions oublié ce que c’est qu’un humain…
D’un seul coup, nous réalisons aujourd’hui que nous avions oublié de vivre. Oublier de vivre c’est, corrélativement, oublier comment vivre. En après-confinement, nous nous retrouvons démunis. Mais voilà que par la voix des médias surgissent des héros : Dr Arruda est un héros, les aidantes et les aidants dans les CHSLD sont des héros et des héroïnes, l’Américain George Floyd est un héros, jusqu’aux habiles organisateurs des manifestations antiracistes qui ont suivi l’affaire, au demeurant, infame de la semaine dernière sont aussi des héros.
Oui, et puis après ? Une fois que l’on a dit « héros-héroïne », qu’est-ce qu’on fait ? Comment ces personnages vont-ils marquer nos vies, la vôtre, la mienne ? Car s’ils ne nous montrent pas comment vivre notre vie, notre nouvelle vie « d’après » Covid-19, celle que l’on voudrait meilleure « qu’avant », alors ils ne sont encore qu’écrans de fumée ne servant tout au plus qu’à titiller notre imagination. Ils n’obligent à rien.
Un cran significatif au-dessus du héros se trouve le « modèle », nous dirait Max Scheler : pour que le héros m’aide à faire une meilleure vie après le Covid-19, par exemple, il faudrait que je puisse déceler chez lui une idée de valeur. Il faut, de plus, que cette valeur que je pressens soit une valeur noble* afin que s’établisse entre moi et celle ou celui que je prends pour modèle un lien affectif très fort. – Je sens que cela étonne encore certaines lectrices, certains lecteurs, mais bon…–. Une valeur commune et triviale ne suscite pas l’amour, ni n’oblige. Le modèle possèdera donc cette aura de valeurs vraies afin que je puisse le vénérer comme « mon » modèle et que je puisse le suivre avec passion. C’est en imitant les modèles que nous devenons semblables à eux dans notre être même*.
Ainsi, à la question « comment vivre après le Covid-19 » et après l’épisode inquiétant du confinement-déconfinement alors que nos repères se sont trouvés dissous, fondus, et disqualifiés, il me semble que l’admiration éphémère d’un « héros » proclamé par les médias serait à considérer avec discernement. Il en va de l’avenir que nous voulons pour nous-mêmes et pour celles et ceux qui nous succéderont.
Pour le dire avec des mots de Ronsard : Quand vous serez bien vieux et que je serai bien vieille, nous n’aurons alors rien à regretter.
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* « Noble », un mot encore quelque fois sensible après le déconfinement.
*Les notions ici sont inspirées librement du livre de Max Scheler, Le Saint, le Génie, le Héros, éditions Vitte, collection animus & anima.
MONIQUE LORTIE
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