J’aimerais bien, cette semaine, faire écho à un article lu dans le journal La Croix. L’article commence comme ceci : « Selon la sémiologue Mariette Darrigrand, la crise due au nouveau coronavirus a modifié notre représentation du monde jusque dans notre vocabulaire. Elle nous met en garde contre l’utilisation d’un ‘‘langage noir’’ qui façonnerait une vision trop pessimiste de l’avenir. » Madame Darrigrand termine son propos en souhaitant que tout un chacun devienne sémiologue afin de pouvoir s’arrêter à ce qui arrive subrepticement à notre langue, française mais aussi aux autres, à la faveur de la grande pandémie avec son air de fin d’un monde.
Ce qui arrive à nos langues, c’est, en effet, une multitude de mots nouveaux, nouveaux à tout le moins dans ce qu’ils signifient maintenant – et j’en ai peur, de ce qu’ils signifieront dorénavant. Un peu comme si notre vocabulaire usuel était en train, ces temps-ci, d’être réquisitionné au profit d’une panique planétaire qui nous colle au corps. Les mots, dit notre sémiologue, non seulement désignent tel ou tel objet, telle ou telle expérience, tel désir, mais chaque fois, nos mots sont chargés, sont comme enrobés, de nos émotions, de nos images, de nos souvenirs. J’ai fait, pour le plaisir (noir), un petit exercice d’inventaire de mots qui, en effet, sont en train de prendre, une tonalité « noire », capable de noircir notre regard sur le monde. Je vous invite à ajouter à ma liste…*
Déconfiner : Un mot tout à fait nouveau qui servira dorénavant à raviver dans notre chair la pénible sensation d’angoisse que nous connaissons sous le « Confinement ».
Masque : Plus jamais le carnaval. Synonyme maintenant de protection contre la mort.
Distance : Devenue « distanciation », elle-même devenue « sociale ». D’un seul coup, nous sommes devenus « distants » les uns des autres. Alors que « distance physique » aurait tellement mieux fait l’affaire…
CHSLD : Il est vrai que ce mot avait déjà un sens noir mais on ne le savait pas. Ce mot maintenant nous fait frémir.
Aîné : Devenu désormais « nos aînés », subtile condescendance à jamais honteuse.
Le monde « d’après », notre monde « avant » : martèlent chaque fois une sorte de césure dans notre monde qui semble se défaire sous nos yeux incrédules.
En même temps, « il s’est mis en place une ‘‘esthétique’’ sadique ou cruelle qui semble plaire à certaines personnes », dit Darrigrand. Parmi ces personnes, moi, j’y vois malheureusement les médias qui semblent avoir adopté, et répandu avec enthousiasme, tous ces mots noirs, sans une certaine petite gêne. Ne nous font-ils pas déjà accepter de voir le monde en noir, noir comme « nihiliste » ? Ça, c’est à craindre plus que la mort, diraient les antiques philosophes.
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* Pandémie, gestes barrière, télé-travail, Zoom, soignants, aides-soignants ; la Science, la logistique, les statistiques, la courbe, le pic, le point de presse ; le Virus, le et la Covid-19, FFP2, N95 ; délation, désobéissance, dorénavant ; la Chine, la Chine, la Chine…
MONIQUE LORTIE
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Méditation du 16e dimanche