Ça y est, le déconfinement est commencé. On nous apprend, un trémolo dans la voix, que la guerre au coronavirus Covid-19 est terminée. Dommage, cette guerre était pourtant si divine !
J’emprunte ici la « divinité » de la guerre à l’ouvrage, Les Soirées de Saint-Péterbourg*, d’un écrivain aujourd’hui relégué dans l’ombre pour la majorité, Joseph de Maistre. Étonnant, bien sûr. Mais ce caractère divin de la guerre, si l’on y regarde de plus près, s’avérera incontestable dans ce que j’aimerais montrer ici. Parce que cette idée me plaît : divine, la guerre !
Éclaircissons tout d’abord ce mot de « divin » qui sonne mal à nos oreilles d’aujourd’hui. D’aussi loin que dans la mythologie des Grecs – le socle de notre occidentalité –, le mot a été employé pour parler de ce qui est relatif à une divinité, afin d’en montrer le parfait, le merveilleux, le fabuleux. On lit, chez Homère, des formules telles que « le divin Achille », dont la colère est restée un modèle de colère ; mais aussi les armes « divines » des combattants de la guerre de Troie, des armes finement et artistiquement faites pour briller de mille feux au soleil, etc. Ainsi on trouve dans les personnages et les actions de l’Iliade ce côté « plus grand que nature », plus grand que spontanément humain. Plus grand que trivialement homme. Quelque chose de plus… divin, tout simplement.
Pour le sociologue et philosophe français, Proudhon*, la guerre est divine en ce qu’elle est primordiale, essentielle à la vie, à la production même de l’homme et de la société. « Par elle, les mœurs se retrempent, les nations se regénèrent, les États s’équilibrent, le progrès se poursuit, la justice établit son empire. » La guerre crée. N’avons-nous pas eu l’intuition de ce que dit ici Proudhon quand nous-mêmes réfléchissions sur « l’après-confinement », sur « l’après-Covid-19 » ? Les questions de nous toutes et tous n’étaient-elles pas, et ne sont-elles encore quelque chose comme : Allons-nous comprendre enfin qu’il nous faut vivre avec justice, avec noblesse d’âme, avec la poésie et l’art, avec une économie tournée vers le bien commun ?
Il faut pour une guerre digne de ce nom une dimension de fête, de frénésie et de merveilleux. Une joie dont on a honte en même temps, dira l’expert journaliste Guillebaud*. Témoin, cette jeune médecin qui dit, gênée, que ce qu’elle regrettera, c’est l’adrénaline des dernières semaines.
Or cette joie, cette frénésie, nos médias québécois ont eu l’art de nous les faire ressentir – n’est-ce pas après tout le rôle de l’art ? Comment ? Ils ont fabriqué un « narratif » de la Covid-19. Vous et moi n’avons pas vu, de nos yeux vu, sur le terrain, les infectés, les grands malades, les morts, les urnes funéraires, les médecins qui s’agitent : on a conçu pour nous une immense, fabuleuse, efficace pièce de théâtre ! Vous et moi, nous avons vécu la guerre à la Covid-19 à travers la voix chaude de Monsieur Legault, celle savante de Dr Arruda, celle professionnelle des animateurs radio ; nous avons vu des tableaux colorés et des images impressionnantes sur les écrans de nos télévisions ; nous avons été inondés de chiffres, de statistiques, de prévisions pour un futur improbable ; bref, nous avons « vu » grâce à l’art et la rhétorique. Or l’art et la rhétorique sont conçus non pas pour nous faire comprendre, réfléchir et juger, mais pour nous faire vibrer ; et nous avons vibré ! Nous avons été excités, nous avons été angoissés. Nous en avons développé des problèmes de santé mentale, de violence, etc. ; nous avons créé des chansons, des musiques, des raps, des blagues. Nous avons accepté de fermer nos commerces, notre économie, nos écoles, nos lieux de culte ! Tout ça à partir de cette gigantesque représentation théâtrale habilement créée pour nous, simples mortels. Et la magie a opéré !
Cette guerre au coronavirus de cette année nous manquera ! Elle était si excitante, merveilleuse, efficace, parfaite, divine…
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* 1821, « La vérité et l’erreur se partagent cette terre où l’homme ne fait que passer. »
* La Guerre et la paix, Livre 1, 1869.
* Le Tourment de la guerre, 2016.
MONIQUE LORTIE
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