Ça s’est passé la semaine dernière, sur Radio-Canada ; je cite : « Une des plus grandes violences que je vois dans ma clinique, c’est un parent qui est plus intéressé par ce qui se passe sur l’écran de son téléphone intelligent que par l’enfant qui boit dans ses bras. C’est tellement violent, ça me fait mal, ça me fait mal ! » C’était le pédiatre Jean-François Chicoine qui parlait ainsi sur les ondes la semaine dernière. « C’est une vraie négligence parentale qui de surcroit est acceptable socialement. Dans 10, 20, 30 40 ans, les gens ne vont pas croire qu’on a fait ça à des bébés ! » a continué le pédiatre, qui ajoutait avoir vu plusieurs « de ces nourrissons à l’âge de trois ou cinq mois ne pas savoir diriger le regard ; ils ont l’œil flou, ils ne regardent pas, en fait. Un parent qui pense qu’un objet électronique est plus intéressant que son bébé, c’est de la violence pure. » Tout ceci était dit avec une véhémence vocale… ! Le pédiatre, était dans tous ses états.
« Ouais, c’était tout une sortie de Jean-François Chicoine, ça », a commenté, bêtement, le journaliste. « Je pense que c’est ce qu’on appelle « une montée de lait », a ajouté, amusée, son assistante encore plus insensible.
L’ardeur du sentiment devant l’injustice faite à un être aussi dépendant qu’un bébé, qu’un enfant, que son enfant, par-dessus le marché, n’est pas tout à fait à mettre dans la catégorie des « montées de lait », il me semble. Ce que l’on a entendu, c’est plutôt de l’indignation, de la saine indignation, dirait le philosophe Jean-François Mattéi*. La « montée de lait », c’est le fait d’un paquet de nerfs qui s’irrite et que la colère agite ; cela n’a rien à voir avec un sentiment qui surgit du cœur, ou d’une âme bien trempée, comme on disait autrefois.
Allons-nous qualifier de « montée de lait » la réplique violente de Denise Bombardier chez Bernard Pivot, en 1990, et encore récemment sur toutes les chaînes télé, à propos de la tolérance de l’élite intellectuelle française à l’égard de l’écrivain pédophile, Gabriel Matzneff ? Ne serait-ce pas plutôt, chez elle, la manifestation d’une profonde révolte de l’intelligence et la marque d’une conscience morale bien trempée ? Ne serait-ce pas, en fait, un rappel courageux du bien devant la réalité abjecte de l’injustice ?* « La colère peut être folle ou absurde, on peut être irrité à tort ; on n’est « indigné » que lorsque l’on a raison au fond par quelque côté » écrit Victor Hugo*.
Ce dont je parle ici, on le comprend, ne concerne pas seulement un Jean-François Chicoine ou une Denise Bombardier ; cela nous concerne toutes et tous. C’est en cela que la réflexion d’aujourd’hui peut prendre un caractère universel. Et quand je dis « toutes et tous », je dis vraiment vous, moi et tous les autres, concrètement. La toute première condition, écrit en substance Thomas De Koninck, c’est de nous « réveiller » efficacement en présence des absurdités et des paradoxes de notre temps. Et moi, j’ajoute : à moins que nous ne préférions le confort et l’indifférence… ! Et ça, c’est pas beau ! Honte à nous alors.
Bref, on a une grosse année 2020 à passer, non ?
* Jean-François Mattéi, De l’indignation, 2005.
* Toute la réflexion d’aujourd’hui est alimentée par Thomas De Koninck, Revue Possibles, 2016.
* Dans Les Misérables.
Monique Lortie
lortie.monique@gmail.com
Méditation du 16e dimanche