Avec ce qui s’est passé durant la semaine terrible qui vient de finir chez nous, j’ai compris, comme vous sans doute, bien des choses. Les jeunes dont je déplorais la présence prématurée en politique, ne sont pas des inconscients ou de purs ambitieux – peut-être le sont-ils aussi pour leur plus grande perte – ce sont des victimes de ce que les philosophes appellent « la raison instrumentale ». Bon, trêve de gros mots, la raison instrumentale c’est cette pensée humaine qui considère tout ce qui existe, les choses comme les animaux, et même les personnes, en tant que simples « objets » manipulables et utilisables pour le bon désir de qui veut être « maître et possesseur de la nature ».
Cette dernière phrase n’est pas banale : elle signifie que le plus futé parmi les hommes, c’est celui qui considère tout le monde environnant comme un stock de moyens et d’énergies disponibles pour sa cupidité personnelle. Ou pour accroître sa puissance personnelle. Prenons un cas banal : vous avez la belle maison entourée d’un beau et grand gazon. Pour entretenir ce gazon vous avez besoin d’un outil, un instrument ; la tondeuse à gazon fera l’affaire. Dès qu’elle ne vous plaira plus, cette tondeuse, vous la jetterez à la poubelle. Vous prendrez un jardinier qui à terme aura le même sort, vous le jetterez lui aussi. Sans état d’âme, bien sûr. Un outil, on s’en débarrasse quand il ne nous est plus utile. Point.
Or cette semaine nous aura montré que la politique est un beau champ pour l’exercice de la raison instrumentale. Cela se passe comme ceci : chaque chef de parti cherche des moyens, des instruments, des outils qui attireront les votes en sa faveur. Le temps des publicités, le temps des slogans, ça ne marche plus. Or la jeunesse a bonne cote ces jours-ci – on aura d’abord commencé la funeste machination en déployant moult moyens pour donner de la valeur à la jeunesse. Puis le chef de parti trouve un beau jeune, talentueux, brillant, dégourdi, un tantinet ambitieux, et déjà très rationnel. Dès lors, il s’en servira… comme appât : on lui met de beaux vêtements, on le présente à la foule, on le vante, on lui donne les meilleures places dans le parti, quitte à les enlever aux autres, à d’autres ministres, par exemple. Là encore, une femme sera la perdante désignée, elle aussi instrumentalisée. Et c’est gagné, le chef de parti devient premier ministre. Notre jeune, lui, est élu et s’imagine qu’il fait partie des privilégiés de ce monde. Il ne sait pas, le pauvre, qu’il a été transformé en instrument. À partir de maintenant, il sera responsable des dossiers brûlants, explosifs qui embarrassent le nouveau premier ministre. S’il rate, et il ratera, le chef le jettera à la poubelle. Belle occasion pour ce chef de se présenter en héros qui sauve les citoyens contre de jeunes ambitieux sans cœur, sans « sensibilité ». Avec le sourire, un petit trémolo dans la voix ; mais au fond, sans état d’âme. Lui aussi sans cœur.
« Une définition de la raison instrumentale est essentielle pour comprendre le sort que nous réservons à nos semblables, aux plus fragiles d’entre eux en particulier. » Comme le cas patent que nous venons d’évoquer, mais comme aussi le sort réservé à la femme pauvre dont on loue l’utérus afin de fabriquer un enfant pour les dames riches qui ne veulent pas abîmer leur corps avec une grossesse. Comme le sort réservé à vie pour cet enfant fabriqué anonymement sur commande et payé comptant. Comme aussi l’enfant, lui aussi « fabriqué », in vitro à partir d’un catalogue bien garni de caractéristiques physiques dans une banque de sperme rationnellement calibrée. Un enfant sur mesure qui sera l’orgueil de ses parents. Ou la honte si la combinaison ne marche pas.
Réduire à l’état de moyens ce qui par nature est une fin, une fin en soi, c’est ça, la barbarie… dont nous sommes désormais capables. Sans état d’âme, sans cœur. La semaine qui vient de passer nous l’aura admirablement bien montré. À frissonner !
Ce pauvre et jeune Simon Jolin-Barrette, comme il doit se sentir seul et humilié !
Monique Lortie
lortie.monique@gmail.com
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