Billet éditorial du dimanche 11.02.2024
Monique Lortie, MA phi
Qui a lu les Confessions d’Augustin a sans doute été frappé par cette phrase : « Le temps ? Je sais ce que c’est, mais si on me le demande, je ne le sais plus. »
J’ai assisté, l’autre jour, au Montmartre, à un 5 à 7 où il est apparu que lorsque l’on veut dire ce qu’est la joie – différente du plaisir -, alors on ne le sait comme plus.
Pourtant, un esprit éveillé qui sait regarder, et voir, aurait fait dans sa vie l’expérience de s’étonner violemment des mille et une petites choses qui forment ce monde qui nous a été donné.
Par exemple, l’eau.
Le hasard a voulu que je trouve, chez un auteur plus ou moins oublié de nos jours, l’académicien Jean d’Ormesson, un hymne à cette chose banale qu’est… l’eau ! Je parie que comme moi, vous n’avez jamais vu l’eau comme l’a vue Jean d’O1.
« Pour un esprit venu d’ailleurs et qui tomberait sur cette Terre et qui ignorerait tout, l’eau serait un objet de stupeur presque autant que le temps. L’eau est une matière si souple, si mobile, si proche de l’évanouissement et de l’inexistence qu’elle ressemble à une idée ou à un sentiment. (…)
Elle a toujours tendance à s’en aller ailleurs que là où elle est. Elle est de la matière déjà en route vers le néant.
Ce qu’il y a de merveilleux dans l’eau, c’est qu’elle est un peu là, et même beaucoup, mais avec une délicatesse de sentiment assez rare, avec une exquise discrétion.
Un peu comme l’intelligence chez les hommes, elle s’adapte à tout et n’importe quoi. (…)
Ce serait une erreur de prêter à l’eau, à cause de sa finesse, une fragilité dont elle est loin. Rien de plus résistant que cette eau si docile et toujours prête à s’évanouir.
Là où les outils les plus puissants ne parviennent pas à atteindre, elle pénètre sans difficulté.
Elle use les roches les plus dures. Elle creuse les vallées, elle isole les pierres témoins, elle transforme en îles des régions entières.
Elle est douce, fraîche, légère, purificatrice ou baptismale, bénite, de vie, de rose, de fleur d’oranger, de toilette ou de table, thermale ou minérale, de Cologne ou de Seltz.
Elle peut aussi être lourde, saumâtre, meurtrière et cruelle. Sa puissance est redoutable. Ses colères sont célèbres.
Elle porte les navires et elle leur inflige des naufrages qui font verser des larmes aux veuves des marins.
Aussi vieille que la terre, ou plus vieille, plus largement répandue à la surface de la planète, elle est fière de ses origines, consciente des services qu’elle a rendus à l’homme.
Et comme la lumière, elle est nécessaire à la vie. Supprimez l’eau, c’est le désert, la ruine, la fin de tout, la mort… »
…Eh bien ! Je me suis dit que qui sait regarder l’eau de cette manière toute philosophique, se garantit la joie pour toute sa vie ! Je nous souhaite cette belle fraîcheur d’âme !
1 Presque rien sur presque tout, nrf Gallimard,
Veiller