Éditorial de dimanche, 6.03.2022
Monique Lortie, M.A. phi
« Une guerre comme catharsis, en quelque sorte. »
Nul aujourd’hui n’est à l’abri de cet enthousiasme prodigieux qui fait qu’on attend que l’on nous donne des nouvelles, heure après heure, de la grande aventure qui nous est proposée maintenant : une guerre, une vraie guerre ! Sans savoir exactement où se situe cette aventure, nos cœurs palpitent en imaginant des troupes bien disciplinées, bien résolues. Et bien habillées. En habits de guerre, bien sûr.
Les tourbillons fous de la covid-19 menaçant de s’effondrer d’un jour à l’autre, plus personne, ou presque, ne se préoccupe de tenir en alerte le bon peuple que nous sommes. Voilà donc qu’aujourd’hui, nous passons à un autre appel, comme on dit. D’un seul coup et comme par un acte merveilleusement bien orchestré.
En réalité, qu’est-ce qui nous attire dans l’idée même d’une guerre, en particulier de cette soi-disant guerre dont nous ne connaissons aucunement ni les tenants, ni les aboutissants ? Un conflit que nous ne savons même pas repérer sur une carte. Que connaissons-nous, vous et moi, et la majorité des journalistes d’ici, de ce peuple ukrainien, peuple pour nous lointain et sans visage, déjà déchiré, à ce que l’on rapporte, sur son propre territoire ?
Une guerre éveille et ravive normalement un amour pour notre patrie, un amour tel que l’on est tous prêts à donner sa vie pour elle. Or dans le cas présent, notre intérêt ne vient pas de l’amour pour notre patrie : le Canada n’y est pas concerné.
Examinons de plus près quelques éléments qui, selon moi, nourrissent notre intérêt, sentimental, pour cette guerre russo-ukrainienne qui a surgi soudain. D’abord, nous avons fait connaissance avec le chef d’État de l’Ukraine, un homme encore jeune, dont on a vite fait un héros et un modèle de liberté. Or qui sous nos latitudes peut résister à des valeurs aussi nobles que rares ? Toutes nos sensibilités en ont été remuées.
Puis, on nous rapporte que son premier ministre, un jeune homme de 31 ans, a mis à contribution les réseaux sociaux internationaux, les sites Internet, jusqu’à des jeux vidéo, bref les GAFAM, pour boycotter la Russie, cette ennemie qui veut anéantir, ou à tout le moins asservir, l’Ukraine. On ne pouvait qu’admirer ce sens de la modernité et cet esprit de jeunesse. Or qui ne sait que la jeunesse, qui connote la Modernité et le Progrès, a la cote aujourd’hui ? Voilà donc notre sympathie acquise sans en demander davantage.
En même temps, les hommes sont faibles et gouvernables dans leurs passions, dans leurs émotions. Tout cela se retrouve en intensif dans les querelles de régiment à régiment. Une première bataille, bien bruyante afin de semer la terreur, des vaincus qui se croient méprisés, des vainqueurs qui se savent menacés. Et le naïf de raconter avec passion et émotion ces guerres folles. C’est ainsi que la haine prend le pouvoir chez tous les hommes de pourtant bonne volonté à travers le monde.
La haine, cette passion rentrée qui court toujours, qui couve toujours dans le cœur des meilleurs parmi les hommes. Cette haine que nous connaissons aussi, nous lointains Occidentaux, a, ces jours-ci, un nom : le président russe, Vladimir Poutine, « ce pelé, ce galeux, d’où nous viennent tous nos maux », dirait Jean de La Fontaine. Cette haine, qui est en réalité un ressentiment venu de nos peurs, de nos regrets, de nos humiliations rentrées, cette haine trouve, à l’occasion d’une guerre ébauchée, son exutoire. Une guerre comme catharsis, en quelque sorte.
Si l’on tentait aujourd’hui de donner un sens à cette « purgation » devenue nécessaire, je dirais que la pression intense que nous ont fait vivre nos gouvernements guidés par la science – cette science technologique qui n’a ni sentiment, ni compassion – à l’occasion d’un virus que l’on a vite transformé en Bonhomme Sept heures, cette pression donc éclate enfin, se libère. Bref, ces jours-ci, l’Occident « haït » avec bonheur ! Et nous avec !
Aussi bizarre que cela puisse paraître…